Chili : Réflexions depuis le combat minoritaire (fr/es)

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En Insurrection Permanente contre l’oubli, le silence et l’aliénation qui alimentent le Pouvoir

À nos compagnon-ne-s de route dans la lutte pour la liberté. À nos frères et sœurs dans l’offensive antiautoritaire. Aux nouvelles générations de rebelles et à celles/ceux qui consacrent leur vie à alimenter la lutte anarchiste dans une perspective insurrectionnelle de l’action multiforme. Après quelques mois sans écrire sous le nom de Sin Banderas Ni Fronteras [Sans Drapeaux Ni Frontières], nous souhaitons partager ces réflexions sur le contexte actuel de la lutte antiautoritaire au Chili. Nous espérons qu’elles nourriront et stimuleront les analyses nécessaires et les tensions qui favorisent notre lutte et alimentent la portée internationaliste de la guerre globale contre le Pouvoir.

 

À trois ans de l’opération Salamandre

En août dernier, trois années étaient passées depuis l’opération répressive nommée par le Pouvoir « Opération Salamandre » – constituant le cadre du « Casos Bombas » – lors de laquelle quatorze espaces (centres sociaux, maisons occupées et domiciles personnels) furent perquisitionnés le 14 août 2010, causant l’incarcération de 14 personnes parmi lesquelles des compagnon-ne-s antiautoritaires d’espaces ouverts et d’ex-prisonniers politiques d’organisations armées anticapitalistes. Avec un spectaculaire déploiement policier, juridique et médiatique, l’Etat, sa police, sa presse et le misérable ex-procureur Alejandro Peña frappèrent le milieu de la lutte antiautoritaire et les idées de liberté, sous le prétexte d’attraper les responsables d’attaques à la bombe contre des édifices du pouvoir.
À ce que nous voyons, à trois ans de ces événements, personne ne s’est prononcé, à l’exception des compagnon-ne-s de la Bibliothèque Antiautoritaire Sacco et Vanzetti, qui ré-inaugurèrent leur précieuse bibliothèque le 14 août de cette année, envoyant un signal de lutte après avoir été frappé-e-s par l’ennemi en 2010, quand ils ont dû affronter la fermeture de leur centre social occupé et la prison et la clandestinité de certain-e-s de leurs membres.
À trois ans de ce qui s’est passé, nous pouvons dire avec chaque jour plus de certitude que cette opération répressive a eu de graves conséquences sur notre environnement de lutte. Nous avons déjà commenté dans nos publications – et d’autres compagnon-ne-s en ont fait des discussions et autres activités – que malheureusement, depuis le coup répressif d’août 2010, les idées et propositions de lutte qui caractérisaient le milieu anarchiste antiautoritaire identifié à l’insurrection, la guerre contre le Pouvoir, l’offensive antiautoritaire, etc, montrèrent un net silence dans la diffusion de leurs approches.
Ceci eut pour conséquence un recul dans la lutte, invisibilisant toute une série de positions et de propositions forgées, partagées et défendues par un milieu collectif, comme l’idée de l’agitation et de la tension permanente sur tous les plans de la vie, la solidarité insurrectionnelle, les propositions sur les groupes d’affinité et l’organisation informelle, etc. Cette situation, à laquelle beaucoup de compagnons contribuèrent dans une mesure plus ou moins grande, apporta avec elle un contexte défavorable à la transmission et à la continuité de la praxis anarchiste insurrectionnelle, et un terrain favorable à l’avancée des positions de l’ennemi face au silence et à la peur qui prospéra parmi les compagnon-ne-s.
Pour ceux qui rompirent avec la peur et le silence dans la rue et les espaces au quotidien, la tâche ne fut pas facile. Nous avons décidé de commencer à créer de l’agitation pour les compagnon-ne-s emprisonné-e-s dans une optique antiautoritaire et insurrectionnelle, sans être paralysés par la répression. Nous avons tenté d’ouvrir d’autres réseaux de communication avec de nouveaux/elles compagnon-ne-s face à la fermeture des espaces de rencontre et de réflexion collective. Et, avant tout, nous avons fait notre possible pour comprendre pourquoi plusieurs de nos compagnon-ne-s se comportaient comme si nous n’avions jamais parlé de la guerre contre toute forme d’autorité.
Malheureusement, nous éprouvèrent de la douleur et de la méfiance en voyant comment certain-e-s compagnon-ne-s avec lesquel-le-s nous avions évolué disparurent de la lutte ou mirent en question l’idée de la guerre contre le pouvoir pour adoucir leurs discours et pratiques de vie, pour recommencer aujourd’hui, dans des eaux plus calmes et après réflexion, à défendre l’insurrection, parfois sans plus d’autocritique ni de propositions pour le présent.
Pour cela, aujourd’hui comme hier, il est important de clarifier que ce coup répressif n’est pas et ne sera ni le premier ni le dernier contre la lutte antiautoritaire. Cela nous appelle à assumer le défi de réfléchir et d’agir pour que la répression ne freine pas la lutte dans le présent et que les milieux qui lui donnent vie ne disparaissent pas dans la fragmentation, le silence et le défaitisme.
…Nous sommes la continuité historique de la lutte multiforme contre le pouvoir, pas de la défaite, de la désertion et de la commodité.
À 40 ans du coup d’Etat au Chili : NOUS SOMMES EN GUERRE CONTRE TOUTE FORME D’AUTORITÉ !!!

Pendant 17 ans, de septembre 1973 à 1990, l’Etat chilien a appliqué la terreur systématique et quotidienne avec la planification spéciale à travers une dictature civile et militaire qui réprima, tortura, persécuta et assassina des milliers d’hommes et de femmes qui luttaient contre la dictature et le capitalisme.
Cependant, il est aujourd’hui indispensable pour la projectualité de la lutte antiautoritaire – surtout en temps d’élections présidentielles – de propager l’idée que la Démocratie est le perfectionnement de la domination et de la violence étatique par des formes plus raffinées : caméras, lois, prisons, polices, valeurs du commandement et de l’obéissance et citoyen-ne-s complices qui soutiennent et défendent la continuité du système autoritaire et exploiteur.
Comme le disait un tract distribué par des compagnon-ne-s lors de la marche du 11 septembre : « ni dictature militaire, ni démocratie sociale, ni pouvoir populaire. Aujourd’hui notre lutte est contre toute forme de gouvernement, de pouvoir et d’autorité. Nous sommes des guerrier-e-s d’une lutte historique pour la libération totale qui ne peut être arrêtée ni anéantie tant que notre volonté, notre conscience et notre action resteront en guerre et avec dignité. »
À 40 ans du coup d’Etat, notre mémoire d’action insurgée va à tou-te-s les combattant-e-s frappé-e-s par la répression, emprisonné-e-s ou mort-e-s en lutte.
Nous nous souvenons – comme d’autres l’ont fait en renforçant notre mémoire antiautoritaire – de Flora Sanhueza, anarchiste assassinée par la Dictature le 18 septembre 1974 ; de Claudia López, anarchiste assassinée par les flics de la Démocratie le 11 septembre 1998 ; de Jonny Cariqueo, anarchiste mort sous la torture des flics le 29 mars 2008 ; et de Mauricio Morales, anarchiste tué par sa bombe près de l’école de gendarmerie en 2009.

À 15 ans de la mort au combat de la compagnonne Claudia López

À 15 ans de l’assassinat de cette compagnonne anarchiste, nous réitérons ce que nous avons déjà écrit par le passé et que nous considérons tout à fait d’actualité.
La compagnonne Claudia López est le reflet de la génération de compagnon-ne-s antiautoritaires que ont décidé de donner une continuité au conflit contre les puissant-e-s après le retour à la démocratie au milieu de la léthargie des opprimé-e-s et après la désarticulation des organisations armées marxistes. Claudia López était de ces compagnon-ne-s qui, à partir de l’autonomie insurrectionnelle, ont commencé à faire irruption dans les espaces universitaires comme le Cordón Macul, brisant la peur et la passivité régnantes par la propagande, des blocages de rue et des affrontements avec les gardiens de l’ordre. Ces compagnon-ne-s, toujours minoritaires, ont élevé leurs barricades en attaquant la normalité oppressante de la domination démocratique, ont mis sur le table des idées révolutionnaires au temps où beaucoup voyaient l’échec de tout antagonisme au monde capitaliste, et surtout ont commencé à donner vie dans la théorie et dans la pratique à l’expérience de l’autonomie et de l’organisation horizontale antiautoritaire.
La compagnonne Claudia López a été assassinée le 11 septembre 1998. La police lui a tiré sur l’épaule pendant qu’elle participait à une barricade dans le quartier de La Pincoya. Elle est morte au combat. Sa mort fut le prélude d’autres morts perpétrées par l’ordre démocratique : Daniel Menco, Alex Lemún, Jhonny Cariqueo, etc. Compagnon-ne-s représentatif/ve-s du sujet social qui devint le nouvel objectif à réprimer pour le Pouvoir depuis le début des années 2000, le nouvel « ennemi intérieur » de l’Etat chilien : anarchistes, mapuches et divers individus masqués.
Quand certain-e-s parmi nous, anarchistes/antiautoritaires, sortent de la rue chaque 11 septembre, nous le faisons pour créer de l’agitation contre la continuité de l’oppression, montrant clairement que la démocratie aussi torture et assassine, qu’elle aussi domine, soumet et trompe. Cependant, la mort de la compagnonne Claudia López donne une autre signification à cette date historique. Nous nous sentons appelé-e-s à maintenir en vie dans la pratique le souvenir de la compagnonne qui a décidé de briser dans sa vie et dans la rue les chaînes de l’oppression, malgré le contexte toujours défavorable de l’aliénation sociale massive.
Parce que la mémoire combative n’est rien d’autre que le souvenir de la continuité des options de lutte choisies par nos compagnon-ne-s de leur vivant. Pour que les vies de nos compagnon-ne-s ne s’éteignent pas. Pour qu’elles s’embrasent sur chaque barricade.

Pour finir… à 203 ans de la création de l’Etat chilien : toujours antipatriotes !

Après les commémorations pour les 40 ans du coup d’Etat et la production massive et compulsive d’actes de mémoire dans divers secteurs – la plupart manquant de contenu critique contre la domination dans le présent –, les commémorations historiques et les airs de réflexion sont facilement reportés sur les drapeaux chiliens et les outils d’aliénation déployés dans la société pour célébrer l’origine de la création de l’Etat chilien le 18 septembre 1810.
Avec beaucoup de viande, d’alcool et de déchaînement, circulant dans les rues et les quartiers, les citoyen-ne-s patriotes – dont un certain nombre d’individus qui s’autodéfinissent révolutionnaires – prennent part à ce tourbillon d’excès et d’aliénation qui renforce l’existence et la continuité de l’Etat et de l’autorité.
Face à cela, notre position de guerre contre le Pouvoir est claire et nous situe du côté de ceux/celles qui résistent par tous les moyens possibles à la reproduction par leurs actes du carnaval patriotique.
Nous sommes antiautoritaires par essence, et antipatriotes en conséquence. Nous ne faisons partie ni dans la forme ni dans le fond des célébrations qui exaltent l’Etat qui retient enfermés nos compagnons Hans Niemeyer, Freddy Fuentevilla, Marcelo Villarroel et Nicolás Sandoval.
Nous n’oublions pas nos compagnons qui résistent à l’intérieur des prisons du Chili et du monde. En ces temps d’aliénation, reprenons la propagande contre le patriotisme, l’armée et le massacre d’animaux lors des fêtes patriotiques, comme partie du conflit permanent contre toute autorité.

CONTRE VENTS ET MARÉES
PAR LA FORCE INDIVIDUELLE
ET LA PROJECTION COLLECTIVE VERS LA LIBERTÉ
PAR TOUTES LES FORMES DE LUTTE AUTONOME ET RADICALE
GUERRE SANS TRÊVE CONTRE TOUTE FORME DE POUVOIR ET D’AUTORITÉ

Sin Banderas Ni Fronteras,
noyau antiautoritaire d’agitation et de propagande

Chili, septembre 2013
sinbanderas.nifronteras@riseup.net

Traduit de l’espagnol par nos soins de Contrainfo.

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