À l’aube morne du siècle vingt,
Tandis que Paris fleurissait
Sur la pourriture du Monde
Les chrysanthèmes du Passé
Et que les chairs en leurs parfums
Dansaient inconscientes leur Ronde,
D’on ne sait où un homme vint.
Par la porte des Peupliers
Il entra seul dans la Grand Ville,
Nu-tête. Il venait à pied,
En s’appuyant sur ses béquilles.
Avec son grand front cabossé,
Ses yeux de terrible flamme,
Sa bouche torve de sarcasme
Et ses jambes toutes cassées
Qu’il lançait d’un superbe élan,
En avant, de toute son âme.
On aurait dit quelque ancien sage
Qui n’eût jamais voulu mourir
Et qui, traversant tous les âges,
Eût supporté tous les martyrs.
Et qui, las de tendre son front
De lumière à tous les affronts
Des foules de toute la Terre,
Eût voulu se dresser enfin,
Au seuil de ce siècle vingt
En ce Paris tentaculaire
Des maitres trafiquant leur or,
Des filles trafiquant leurs corps
Et des millions d’Esclaves de Misère,
Pour y semer à pleines mains
Non plus, comme autrefois, le grain
Pur prometteur des gerbes
De lumière de la Vérité
À moissonner par les humains
Pour les espérés lendemains
De leur Eté,
Mais la semence des mauvaises herbes,
Celles qui naissent n’importe où,
Celles qui poussent malgré tout,
Celles qui font du beau jardin
Un pauvre corps rongé de plaies
Inguérissables,
Celles qui font du champ de blé
Un immense désert de sable…
Les herbes dures de la Haine
Dont il porte les noires graines
Dans ses poings tendus vers la Ville,
D’un grand élan de ses béquilles.
Par la porte des Peupliers
Un homme vint d’on ne sait où,
La tête nue et les nus pieds.
D’un grand élan de ses béquilles
Il traversa toute la Ville,
D’un seul coup
De son corps aux jambes cassées,
Droit devant lui jusqu’à la cime
De Montmartre. Et ce fut là
Que l’homme étrange s’arrêta,
Et levant son front cabossé,
Fixant ses yeux de loup traqué
Sur la Grand’Ville meurtrière,
Aux lointains des vagues de pierre
Hérissant les dômes dorés
Et les milliers de cheminées,
Et les clochers de la Prière, En un rire âpre s’écria :
« Ohé ! Paris, vieille Camarde
Ne ris donc pas plus fort que moi.
À nous deux maintenant. Voilà
Le camarade Libertad ! »
André Colomer.
La Revue Anarchiste n°9 (septembre 1922)