Par Armand Beaure (1905)
Nous, anarchistes, qui à l’opposé des politiciens, recherchons moins le nombre que la qualité des individus, nous n’avons pas à cacher nos sentiments. Tant pis si les doctrines que nous propageons et que nous croyons saines sont admises avec lenteur. C’est des individus qu’il faut à nos cotés, non des timorés ou des girouettes. C’est pour cela qu’aux institutions bébêtes ou perfides des biens pensants, nous disons : oui, on peut être anarchiste et cambrioleur. Jacob est de ceux là.
Pour prouver la véracité de ce que j’avance, j’offrirai volontiers, aux contempteurs de ma thèse, un débat contradictoire. Et, plagiaire, je me contenterai de m’armer des déclarations de Jacob parues sur « Germinal » ; j’estime que cela me serait suffisant pour détruire toute thèse contraire.
Comment ! Il n’est pas permis à un anarchiste, que le rôle de bête de somme dans un bagne patronal répugne à sa dignité d’homme, et souvent à sa santé, de troubler la digestion, la quiétude d’un banquier, magistrat, général, prêtre ou rentier, en leur reprenant tout ou partie de ce qu’ils ont volé lâchement ! Quel puffisme ! En contestant à un homme le droit à la révolte – et ce sont des actes de révolte que Jacob et ses malheureux amis ont commis – c’est lui contester son droit à l’existence, existence que tout être doit rêver faite de moins de personnes possible.
Qu’on ne nous objecte pas que Jacob et ses amis œuvraient comme des bourgeois, le bourgeois étant par nous traité de voleur. Ce dernier ne s’expose qu’à la peine de palper l’or, produit de notre sueur, du vol, de l’assassinat lent mais sûr, secondé par tous les rouages autoritaires, adulé par les « honnêtes gens ». Jacob et ses amis ont exposé leur vie, leur liberté, et je crois que le cambriolage ne s’accomplit pas souvent sans avoir peiné. Les cambrioleurs, à l’opposé des bourgeois, ont tout contre eux, y compris l’anathème de certains personnages, dont parfois ils ont amélioré le sort, en les faisant bénéficier du produit de leur travail. Il en fut ainsi pour Ravachol.
Oh, les honnêtes gens ! Zola a bien dit le mot qui leur convient. Depuis l’affaire Jacob, j’ai conversé avec plusieurs, et voici grosso modo le raisonnement que me tenait un qui se targue de socialisme.
« Jacob, chenapan, bandit, maquereau, assassin de plusieurs femmes »
– Mais, dis-je, riant de ce langage, et songeant aux oublis de l’acte d’accusation de notre ami, vous avez pris cela dans les journaux bourgeois ; lisez donc le procès et les déclarations de Jacob parus dans « Germinal » dont vous avez le numéro en poche et je crois que tout autre sera votre opinion.
« Pas besoin, je suis fixé et me désintéresse de ces bandits », me répondit mon intellectuel socialiste. Puis, faisant tournoyer sa canne, il me quitta en murmurant « Messieurs, les libertaires, grâce à l’unité et à Jacob, nous dégringolerons vos théories ». Je ne pus répondre que par un formidable éclat de rire, pensant que ce citoyen crèverait de faim, honnête homme.
Oui, il est des gens qui disent rêver d’un meilleur devenir ; révolution future, société future, beaux mots dont ils ont plein la bouche. Quant au présent, tant pis si d’autres et eux-mêmes se serrent le ventre.
Nous aussi, nous rêvons d’une révolution collective qui sera le couronnement de nos efforts individuels pour son avènement ; nous aussi, nous rêvons d’une société où le vol sous toutes ses formes aura disparu, mais en attendant demain, aujourd’hui, il nous faut vivre, et si nous sommes trop lâches ou inhabiles, pour commettre les actes qui nous permettront de patienter, la réalisation de notre rêve, du moins ayons le courage d’applaudir ceux qui plus virils agissent sans se soucier du blâme des pantins et des « honnêtes gens ». C’est pourquoi nous disons : Jacob est anarchiste.
Armand Beaure, dans Germinal n°14 (23 avril au 07 mai 1905).
http://www.non-fides.fr/?Jacob-anarchiste-Parfaitement