« Nous considérons que l’heure est venue de passer de la période d’affirmation à la période d’action et de joindre à la propagande verbale et écrite dont l’inefficacité a été démontrée la propagande par le fait et l’action insurrectionnelle. »
Congrès de l’Internationale antiautoritaire, Londres, juillet 1881
« Je ne crois pas que l’illégalisme puisse affranchir l’individu dans la société présente. Si par ce moyen il réussit à s’affranchir de quelques servitudes, l’inégalité de la lutte lui en suscite d’autres encore plus lourdes, avec, au bout, la perte de la liberté, de la mince liberté dont il jouissait et, parfois, de la vie. Au fond, l’illégalisme considéré comme acte de révolte est plutôt affaire de tempérament que de doctrine. C’est pourquoi il ne peut être d’aucun effet éducatif sur l’ensemble des masses laborieuses. J’entends d’un bon effet éducatif. »
Alexandre Marius Jacob, anarchiste, cambrioleur, ayant effectué 23 ans de bagne, déclaration du 4 septembre 1948
* * *À l’occasion de la campagne pour la libération des membres d’Action Directe (AD), certains s’interrogent sur cette organisation anticapitaliste, ses origines, son idéologie. Quelques documents
développent ces questions, quelques versions journalistiques ou policières/étatiques, des écrits et des interviews de membres d’AD. Le manque réel de matière et d’éléments de comparaison rend difficiles la compréhension et l’appréciation de cette histoire, de ces moments de lutte.
En France, des années 1960 aux années 1980, des centaines de personnes ont répondu à la violence de l’État, du patronat, du capital, en pratiquant une violence politique lors d’actions de lutte armée.
Contrairement à l’idée véhiculée par les médias ou les romanciers, informés par la police politique, AD n’avait pas le monopole ou la direction de cette forme de lutte. Cette organisation n’était qu’une
composante de ceux (communistes, anarchistes, libertaires, révoltés sans étiquette…) qui ont commis des actes de lutte armée.
Pour ce qui est de la naissance et de la constitution de cette organisation en 1978-1979, on peut se procurer, dans les réseaux militants, deux textes qui effleurent ce sujet : « Éléments chronologiques ― Action Directe » et « Interview du collectif des prisonniers d’AD ». Ils comportent des affirmations tant approximatives que contestables. Pour réajuster certains propos contenus dans ces textes et avant d’en citer des extraits, il est nécessaire de revenir sur cette période d’effervescence révolutionnaire que furent les années 1960-1980, sur la particularité du mouvement autonome, sur des groupes qui agissaient en France et au pied des Pyrénées des deux côtés de la frontière.
Notre souci, au travers de ce texte, est de restituer quelques fragments de ces événements et en partie le parcours des groupes évoqués par AD dans les deux textes précités, en apportant des
éclairages, en rappelant quelques faits historiques et écrits d’époque de quelques groupes autonomes.
Nous ne prétendons pas par ce document avoir rédigé l’histoire du mouvement autonome ou des groupes autonomes. Cela demanderait un travail plus important sur chaque pays, plus explicite sur le contenu idéologique de chaque tendance gravitant dans ce mouvement, plus fouillé et critique sur l’activité, sur le comportement des groupes ou individus drapés du costume révolutionnaire et armés de la critique radicale. Sans oublier d’analyser la réelle influence du mouvement et de ses idées, auprès des exploités, sur la société et sur le capital. Nous abordons ici brièvement ce passé à partir de la fin des années 1960, en l’orientant sur l’activité et la pensée de groupes ou individus ayant
pratiqué des actions de lutte armée. Ce texte reste une contribution parcellaire. Pour enrichir le débat et transmettre ces expériences, nous souhaiterions que d’autres s’expriment sur cette période et nous fassent part de leur critique.
Du mouvement autonome et des groupes d’action
« […] Tout au long de l’histoire de la lutte des classes, il y a des exemples de luttes autonomes. Les groupes autonomes naissent, non par décret ni par nostalgie des temps passés, mais par nécessité révolutionnaire, par la somme de nos propres vécus, de notre pratique quotidienne. La lutte révolutionnaire est jalonnée par la présence de ces groupes. […] il y a toute une réalité pratique que nous recueillons, non pas comme une ligne ou une doctrine, mais d’un point de vue critique, comme des expériences dont il faut profiter, des moments historiques qu’il faut savoir dépasser […] »
Extrait de : « Le pourquoi des groupes autonomes », signé : Groupe Autonome Incarcéré à la Modelo (prison de Barcelone) août 1978 [1], paru dans la brochure « Insurrection – organe d’expression de groupes et d’individus autonomes d’action », publiée en France en 1979.
Présenter l’autonomie et le mouvement autonome n’est pas une chose facile. Cela peut même paraître osé, devant le risque de réduire et d’uniformiser une telle diversité.
Le terme autonomie vient du grec autos (soi-même) et nomoï (lois), autosnomos : qui se donne à soi-même sa loi. Ce qui désigne pour un individu, un groupe ou un peuple la capacité, la liberté, d’établir ses propres règles, de se « gouverner » soi-même.
Dans le bouillonnement de la fin des années 1960, toutes les couches de la société sont confrontées à l’idée d’une transformation radicale du monde. La révolution redevient plus qu’un possible, une évidence, une nécessité pour un grand nombre.
C’est dans ce contexte qu’apparaît au cours des années 1970, aux quatre coins de l’Europe de l’Ouest, la dénomination de mouvement ou de groupes autonomes dans les courants révolutionnaires antiparlementaires.
Le mouvement autonome, plus ou moins présent dans certains pays, n’est pas une organisation au contour bien défini. Il renvoie plus à un courant d’idées qu’à une ligne politique ou à une idéologie. Il se compose d’individus et de groupes qui se revendiquent libertaires, anarchistes, communistes, communistes libertaires, alors que certains font le rejet total de toute étiquette. Nombreux sont ceux qui ont préféré se définir par leurs actes ou leurs écrits, refusant de parler au nom des autres. Tous ont grandi dans le vivier des luttes anticapitalistes, dans le refus de toute forme d’État, de pouvoir imposé, avec l’idée d’une société générée et conduite par des assemblées de base dans les lieux de vie qui élisent lorsque cela est nécessaire des délégués (révocables à chaque instant).
Les lignes communes du mouvement sont multiples :
― réappropriation du pouvoir sur sa vie avec l’intention de vivre son quotidien (rapports sociaux, familiaux, affectifs et amoureux…) au plus près de ses aspirations et idéaux ;
― réappropriation des richesses que nous produisons (ce qui est derrière les vitrines nous appartient) ;
― refus de l’économie de profit basée sur l’exploitation de l’homme par l’homme ;
― refus des types d’organisations bureaucratiques, hiérarchisées (État, partis, syndicats…) ;
― combat contre les variantes du communisme autoritaire (Lénine, Staline, Mao…) ;
― rejet des doctrines, religions, morales ;
― remise en cause, par la critique, par la pratique, de la société
capitaliste dans ses fondements, ses formes d’organisation (argent, salariat…) et dans les modes de vie qui en découlent ;
― création d’espaces de contre-pouvoir et leur occupation par des activités socialement utiles ;
― l’internationalisme, un monde sans frontières ;
― …
Les individus se croisent lors de manifestations ou au sein de structures associatives, économiques et politiques existantes, s’unissent au gré des affinités. Ils produisent de la réflexion, des textes, des affiches, des journaux, des brochures, éditent des livres. Ils agissent en fonction du contexte, de l’histoire du pays, de la réalité locale… Ils organisent parfois des assemblées générales pour des luttes ou des actions plus larges. Ces assemblées, ces individus, ces groupes, se définissent comme
antiautoritaires. Les décisions se prennent d’un commun accord.
Le mouvement s’attaque aux patrons, aux formes d’exploitation liées au travail, aux tenants de l’économie, aux multinationales, à la société techno-industrielle (nucléaire…), à tous les corps répressifs (armée, police, justice, administration pénitentiaire…), aux outils de contrôle social (fichage informatique, surveillance électronique…), aux organes de propagande idéologique (école, médias…), aux institutions piliers de la société capitaliste (gouvernement, partis, syndicats…), à la société patriarcale, au racisme, au fascisme, aux dictatures, au sexisme… Il développe la réappropriation d’espaces (squats, occupations diverses…), de moyens d’information (journaux, radios pirates…), du temps travaillé (refus du salariat, création de structures économiques autogérées). Il pratique les autoréductions sur le logement, les transports, l’énergie, la culture…
Au sein du mouvement, certains individus ou groupes réalisent diverses actions dont des actions armées. Elles se préparent et se réalisent en évitant toute spécialisation. Chacun recherche les moyens nécessaires à ses actions et les revendique ou pas, selon les circonstances. Ces actions prennent différentes formes, différentes cibles. Elles sont variées en fonction de la particularité, de la sensibilité des individus, des groupes dans lesquels ils ou elles évoluent. Ils développent l’action directe diversifiée, du tract aux actions armées, le sabotage (à la main, avec l’allumette, au cocktail Molotov ou à la dynamite), l’affrontement et la destruction de matériel lors de manifestations, le vol ou l’expropriation (à l’étalage, en razzia, en cambriolage ou en braquage)… et, à de rares exceptions, l’exécution ciblée de personnages liés au pouvoir économique, politique, comme l’ont pratiquée certains groupes autonomes du Pays Basque « espagnol »…
Dans le mouvement, à travers ses moyens d’expression, le débat et la critique sont permanents, animés et virulents sur le contenu de tel texte, sur la pratique de tel individu ou tel groupe. Également autour du bien-fondé de la lutte armée, des exécutions politiques, de l’utilisation de la violence, des moyens et des formes d’action, de l’illégalisme, de l’implication dans les mouvements sociaux, du fait de se poser en avant-garde révolutionnaire… Les positions sur toutes ces questions sont diverses ; par exemple, nombreux sont ceux et celles qui rejettent les formes de lutte violentes et groupusculaires. Ils considèrent que ces actes sont suicidaires, qu’ils renforcent l’appareil d’État et qu’ils sont séparés du mouvement social réel (celui du monde du travail ?)…
En France. L’idée de révolution reprend de l’ampleur dans les années 1960, au travers de diverses luttes contre l’arme atomique, pour la décolonisation du peuple algérien ou vietnamien, dans quelques universités, dans certains lieux d’exploitation… Elle est portée par divers groupes de réflexion et d’expression théorique comme Noir et Rouge, Socialisme ou Barbarie, l’Internationale Situationniste, Informations et Correspondances Ouvrières…
En Mai 68, la révolte étudiante et le mouvement des occupations d’usines lancé par des milliers d’ouvriers (contre l’avis des directions syndicales) provoquent une grève générale illimitée. On
assiste alors :
― À une révolte sociale émancipatrice d’essence libertaire, à d’importantes manifestations, à des barricades, à des lancers de pavés, à des assemblées dans les rues, à une grève générale sauvage
(illégale), qui vont éveiller de nombreuses consciences.
― À la riposte de l’État qui envoie sa police et envisage l’intervention des blindés de l’armée. Les forces de l’ordre vont réprimer violemment, bestialement, les manifestants, en interpeller des milliers et les mettre en fiche.
― Aux comportements contre-révolutionnaires des organisations de gauche (syndicats, PC et autres partis socialistes), qui oeuvrent pour le rétablissement de l’ordre et de l’État. Des organisations qui débordées dans les premières semaines reprennent possession des usines ou des électeurs. Des partis qui tentent d’orienter les révoltés vers les urnes (élections législatives de juin 1968). Des syndicats (CGT, CFDT…) qui s’emparent des seules revendications (salariales et conditions de travail) acceptables des grévistes et qui négocient des miettes aux patronats et à l’État pour remettre les exploités à la production. La base tout en conspuant les délégués syndicaux cessera le mouvement.
Ce qui s’est passé en mai préfigure l’ambiance et le niveau d’affrontement idéologique et physique des années 1970. Un État policier certes, mais surtout des organisations de gauche et des syndicats dont le seul souci est de défendre l’État, de gérer le capitalisme et de pacifier les conflits sociaux. Ce n’est pas nouveau. Mais des générations le découvrent, aux travers des luttes, à la lecture de nombreux documents critiques édités ou réédités à cette époque sur la révolution russe ou
espagnole, sur le front populaire, sur la guerre d’Algérie, sur Mai 68… Ils le vivent au fil des événements, en étant matraqués et gazés lors de manifestations par les forces de l’ordre ou par les services d’ordre du PCF (parfois de l’extrême gauche) ou de syndicats comme la CGT.
Les chefs de ces organisations justifient le maintien de l’ordre :
« Nous ne voulons pas de nouveaux mois de mai. Nous sommes prêts à faire face à toute aventure qui emmènerait le pays au désordre, car nous savons le prix que peuvent coûter à la classe ouvrière les actions irréalisables, fébriles ou romantiques. »
Georges Séguy, secrétaire général de la CGT et membre du bureau politique du PCF, dans le Monde du 18 mai 1971.
« Je pose la question : est-ce qu’on va recommencer à nouveau comme en 1968 ? Je réponds non, cela ne doit pas recommencer. »
Déclaration en 1973 de Georges Marchais, secrétaire général du PCF, lors des imposantes manifestations lycéennes contre la loi Debré (Michel Debré était ministre de la Défense nationale)
Après Mai 1968 et dans les années qui suivent, on peut schématiquement faire ce constat :
― Une partie de la jeunesse est dégoûtée par l’attitude du Parti communiste français (très influent à ce moment-là) qui ne cesse de dénigrer, de freiner, de combattre, l’aspect révolutionnaire de toute
révolte. Elle souhaite lutter et ne refuse pas la hiérarchie, elle va rejoindre les différentes organisations communistes d’extrême gauche, maoïstes, trotskistes, etc. Des organisations concurrentes dont l’un des rêves est de remplacer le PCF dans le coeur des masses populaires.
― Une autre partie de la jeunesse va rejoindre le courant d’idées qui prône l’autonomie des luttes et qui a été très présent au coeur de l’agitation lors des événements. Dans les années 1970-1980, on retrouve ce courant d’idées dans des groupes de quartier ou divers comités, dans quelques luttes sur les lieux de travail, au sein des tentatives communautaires (vivre autrement à la campagne et en ville), au sein de certaines universités, du mouvement antimilitariste (groupes d’insoumis ou d’objecteurs au service militaire, manifestations lycéennes et étudiantes contre la loi Debré, ou au Larzac contre l’extension du camp militaire en 1974…), du mouvement antinucléaire (groupes locaux, manifestations contre la construction de centrales dès 1971 à Bugey…), du mouvement anticarcéral, du mouvement antisexiste… C’est de l’intérieur de cette mouvance critique que surgissent les groupes autonomes qui vont privilégier l’action directe et revendiquer leurs actes avec des sigles de circonstance (parfois fantaisistes).
Avant les événements de Mai 68, pendant et au cours des années qui suivent, dans cette effervescence révolutionnaire, influencés par les idées anarchistes, communistes libertaires, conseillistes, situationnistes…, des individus font connaissance et se lient d’amitié. De manière spontanée, des groupes autonomes apparaissent dans plusieurs villes de France sans que cela soit décidé par un quelconque comité central. Certains se coordonnent comme par exemple l’Union des Groupes Autonomes Libertaires (UGAL, 1970-1971)… Estimant que les manifestations, les protestations, ne suffisent pas pour contrer les projets funestes du capital, quelques-uns envisagent des actions de sabotage et n’écartent pas l’hypothèse d’utiliser les armes. C’est la continuation d’une certaine forme d’illégalisme (référence aux compagnons de la fin du xixe siècle et début du xxe) avec des expropriations et de la propagande par le fait. Après Mai 68, des premiers groupes interviennent à Bordeaux et à Paris. À Bordeaux, c’est un groupe de jeunes travailleurs qui est emprisonné et déféré devant la Cour de sûreté de l’État. De juin à juillet 1968, ils ont attaqué, avec des cocktails Molotov, une annexe de la faculté de droit, divers commissariats, un local d’un parti de droite. À Paris, en décembre 1968, un autre groupe fait exploser quelques façades d’établissements bancaires, à l’aide de charges artisanales déposées dans les boîtes aux lettres. Au début des années 1970, d’autres groupes vont se former et entrer en scène.
Dans le foisonnement des groupes actifs à cette période…
L’activité de certains groupes va permettre, lorsque la situation l’exigera ― comme l’arrestation en Espagne en septembre 1973 de membres de l’ex-Mouvement Ibérique de Libération (MIL), d’envisager une solidarité concrète et d’agir.
« Proches de l’ex-MIL, amis de Puig, les camarades directement concernés firent appel, dans le cadre de démarches d’intervention entreprises par eux, à d’autres groupes autonomes. À la suite de cette rencontre, accord se fit pour que soient mis en commun nos capacités, nos moyens. Cette
rencontre ne se fit pas par hasard ; les conflits divers qui soudent entre eux des individus les conduisent aussi à reconnaître d’autres prolétaires qui ont les mêmes intérêts. Comme nous, refusant le faux dilemme organisation bureaucratique = impuissance, ces groupes s’étaient naturellement côtoyés et avaient affirmé la possibilité d’une coordination à définir concrètement. »
Extrait du texte « Un groupe ayant participé à la coordination GARI », février 1975
Le MIL, dont l’activité va durer de 1971 à 1973, est une organisation (non hiérarchisée) composée de communistes (tendance conseilliste) et de libertaires. Les membres sont de nationalité espagnole ou française. Ils agissent en Espagne, surtout en Catalogne, ou dans le sud de la France (Toulouse…). Sous la dictature franquiste, ils contribuent à la redynamisation d’un projet révolutionnaire. Ils écrivent et publient divers textes et réalisent quelques attaques de banques.
Le MIL s’est autodissous lors d’un « congrès » qui s’est tenu à Toulouse en août 1973 et il précise dans son texte d’autodissolution :
« … Parler d’action armée et de préparation à l’insurrection est la même chose : il est maintenant inutile de parler d’organisation politico-militaire ; de telles organisations ne sont que d’autres déchets politiques. Pour toutes ces raisons, le MIL s’autodissout comme organisation politico-militaire et ses membres se disposent à assumer l’approfondissement des perspectives communistes du mouvement social. » Il faut préciser que dans le post-scriptum certaines formes d’action, dont le sabotage, n’étaient pas exclues et il est écrit : « … L’organisation est l’organisation des tâches, c’est pourquoi il est nécessaire que les groupes se coordonnent pour l’action. À partir de telles constatations, l’organisation, la politique, le militantisme, le moralisme, les martyrs, les sigles, notre propre étiquette, font partie du vieux monde. »
Si le MIL a cessé d’exister en tant qu’organisation, les individus l’ayant composé vont continuer le combat. En septembre 1973, en Espagne, à la suite de l’attaque à main armée d’une banque, deux
auteurs (ex-MIL) sont appréhendés par la Guardia Civil. Cela va entraîner, en Catalogne, une série d’arrestations de membres de l’ex-MIL. Le 8 janvier 1974, l’un d’entre eux, Puig Antich, est doublement condamné à mort pour sa participation à une fusillade avec les forces de l’ordre lors d’une attaque à main armée revendiquée par le MIL et pour avoir mortellement blessé par balles un inspecteur de la police politique, lors de son arrestation.
En janvier 1974, une coordination de groupes composée pour l’essentiel d’ex-MIL, de libertaires français ou espagnols se met en place. Pour tenter de bloquer l’exécution de Puig, l’enlèvement d’une personnalité espagnole est au programme. À la suite d’arrestations, l’action est retardée et, malheureusement, le 2 mars 1974 dans la cour de la prison de la Modelo à Barcelone, Puig Antich est garrotté (un collier de fer serré par une vis étrangle la victime tout en lui broyant les vertèbres
cervicales). Deux autres membres de l’ex-MIL risquent à leur tour la peine de mort lors d’un prochain procès (ils seront finalement condamnés à des peines de prison en juillet 1974). Pour ces interventions, cette coordination va prendre pour sigle GAI (Groupes Autonomes d’Intervention)
et devenir par la suite GARI (Groupes d’Action Révolutionnaire Internationalistes).
Les GAI effectuent le 22 mars 1974, dans le sud de la France, une série de sabotages à l’explosif sur des voies de communication (ponts et voies ferrées) allant vers l’Espagne. Ils la revendiquent comme suit :
« … Nous ne sommes pas la branche militaire d’un parti, ni des terroristes ou des militants professionnels, mais des individus qui savent que la révolution est avant tout sociale et qui refusent le système là où ils travaillent et là où ils vivent. En gênant les communications entre la France et l’Espagne, nous intervenons sur les échanges économiques entre les classes capitalistes des deux pays d’une façon partielle et momentanée, persuadés que les prolétaires peuvent arrêter la production d’une façon durable et efficace sur les lieux de travail, pour leur propre émancipation… Des prolétaires qui sont condamnés à être des objets sans passion, à se prostituer pour survivre avant d’être tués sans éclat sur les lieux de leur travail… Protester contre les gouvernements libéraux, démocrates ou « socialistes » qui brandissent le symbole de l’Espagne dictatoriale pour prouver qu’ils sont libres et humains, contre les démocrates et gauchistes qui hurlent au crime quand Puig Antich est assassiné et crierait victoire si on lui avait permis de crever à petit feu entre quatre murs et se taisent alors que Pons et Solé risquent la peine de mort, et passent sous silence que onze membres du MIL, dont deux en France, risquent de lourdes peines… Seule une action révolutionnaire doit-être actuellement menée… »
Les GARI défraient la chronique en mai 1974 en kidnappant à Paris B. Suarez (directeur de la Banco Bilbao) et commettent divers attentats en juillet et août pour exiger entre autres la libération des ex-MIL et empêcher de nouvelles condamnations à mort. De mai à décembre 1974, à Paris, Avignon, au Pays Basque français et en Haute-Garonne, des membres de cette coordination sont arrêtés et emprisonnés.
« Nous ne sommes ni l’avant-garde du prolétariat ni le parti révolutionnaire. Nous ne représentons que nous-mêmes. Nous sommes nous-mêmes, rouages d’une société qui nous exploite et nous opprime et nous voulons VIVRE ET COMPRENDRE.
Et l’essentiel de notre carrière c’est d’avoir tenté de VIVRE en essayant de changer dans notre vie quotidienne les rapports stéréotypés, hiérarchisés, artificiels entre individus. Cela nous a conduits à une tentative de compréhension plus large de notre situation dans la société.
Cela nous a conduits à lutter contre tout ce qui nous aliène (le capital, son État tentaculaire, et tout ce qui lui est soumis : partis et groupuscules politiques, bureaucraties syndicales, etc.). Cela nous a également conduits à essayer réellement de secourir les amis menacés de mort en employant exceptionnellement des moyens particuliers correspondant à cette situation concrète (et non dans l’intention de privilégier à l’avenir et dans l’absolu ce genre de méthode). »
Extrait d’un texte de novembre 1974, signé « Les dynamiteurs basques », un groupe du Pays Basque nord ayant participé à la coordination des GARI, dont deux membres croupissaient à ce moment-là à la prison de la Santé à Paris (Le groupe n’avait pas de nom particulier, la signature est en référence au titre de l’article du journal Sud-Ouest qui relatait leur arrestation.)
Les GARI n’ont pas été démantelés par la répression, ils se sont autodissous fin août 1974. À partir de cette date, aucune action n’est revendiquée GARI. Le sigle va perdurer dans les médias à cause de l’incarcération de quelques membres. L’autodissolution était prévue dès la constitution du groupe et il n’a jamais été question de créer une organisation de lutte armée. Un texte de février 1975 signé « Un groupe ayant participé à la coordination GARI » en donne les raisons.
« … Nous ne voulons pas ici perpétuer un sigle, un moment de lutte. Ce serait faire le contraire de ce que nous pensons. Parce qu’une lutte n’a ni début ni fin, parce qu’une révolution n’a ni début ni fin, hormis pour qui détermine le temps en fonction de son accession au pouvoir. Parce que tout nous démontre qu’une organisation qui se fige finit par avoir trop de choses à perdre : un sigle, une représentation, pour être vraiment un moyen de lutte ; elle devient fin en soi, se veut un interlocuteur valable, et cela contre ceux qui refusent ses tactiques politiciennes, frontistes. Contre les prolétaires eux-mêmes, tous devenus provocateurs, délinquants… les GARl, n’existent plus comme coordination de groupes. Demain, une autre coordination se fera sur d’autres objectifs ou sur les mêmes ; avec d’autres groupes autonomes ou avec les mêmes. D’autres sigles se feront jour, puis disparaîtront. Pour nous, la véritable constante c’est le groupe autonome, constitué de prolétaires réunis sur labase d’une affinité réelle, ayant l’habitude de vivre, de lutter, de discuter, de critiquer ensemble. Les accords provisoires contractés avec d’autres groupes sont pour nous une des conditions essentielles pour éviter le militantisme et la bureaucratie, pour éviter que les gens se déresponsabilisent individuellement et collectivement au sein d’une structure figée, sécurisante.
Nous connaissons trop le rôle des bureaux politiques, d’une organisation, d’une fédération, d’un groupuscule, pour nous fier à une coordination permanente. Quand la base s’est donné une représentation permanente, parti, fédération, syndicat, coordination, la bureaucratie s’installe,
chefs, délégués, permanents, se créent, sécrétés par un appareil dont l’épaisseur inerte nécessite une division de tâches. Ces tâches deviennent spécialisation. Cette spécialisation devient hiérarchie de fait… »
En 1975 et 1976, d’autres groupes se manifestent, à Paris, dans le centre ou dans le sud de la France et revendiquent des actions de sabotage coordonnées ou pas. C’est à cette époque que les organisations d’extrême gauche, en perte d’effectif, disparaissent ou perdent de l’influence,
notamment au sein des facultés, et que des individus et des groupes provenant de ces organisations se joignent à la sphère du courant autonome. C’est le cas des NAPAP (Noyaux Armés Pour l’Autonomie Prolétarienne) organisation en rupture avec le courant maoïste comme ils le précisent en octobre 1977 :
« … Nous n’avons plus rien à voir avec l’étiquette maoïste que la presse nous a collée. S’il est vrai que d’anciens maos appartiennent aux NAPAP, ce n’est pas seulement à partir du bilan de la liquidation de la Gauche Prolétarienne ou de Vive la Révolution que nous nous sommes formés…
Il est clair que nous ne sommes ni le parti combattant de quoi que ce soit, encore moins une nouvelle bande à Baader. Nous avons tiré le bilan des pratiques politico-militaires étrangères qui mènent des combattants “spécialistes” à une lutte solidaire et suicidaire face à l’appareil d’État moderne. Notre pratique s’inscrit dans l’édification de l’autonomie ouvrière organisée au sein du mouvement populaire. Notre but n’est pas d’appeler à la formation de 1, 10, 100 NAPAP régis par une direction centrale style état-major de la violence populaire potentielle. Nous abordons une autre étape qui consiste à nous fondre dans la dynamique du mouvement et non pas à chercher à en prendre la tête d’une façon officielle ou magouillarde… »
Extrait du « Texte de mise au point des NAPAP », octobre 1977
En 1977, la seule année de leur activité, les NAPAP revendiquent divers attentats et sabotages, ainsi que, le 24 mars, l’exécution de Jean-AntoineTramoni. En février 1972, à l’entrée de l’usine Renault de Billancourt, lors d’un affrontement entre des militants de la Gauche Prolétarienne [2] et des vigiles de l’entreprise, le vigile Tramoni a tiré et abattu Pierre Overney. Pour cet assassinat Tramoni est condamné par la justice française à quatre ans de prison ferme et libéré au bout de dix-huit mois.
De la coordination CARLOS à la naissance d’Action Directe
En mai 1977, les trois derniers emprisonnés ayant participé aux interventions signées GARI, sont libérés. Ils vont réintégrer les groupes autonomes et, par là même, un des réseaux libertaires existants. Leur incarcération à la prison de la Santé leur a « permis » de prendre contact avec des groupes communistes proches de l’autonomie parisienne. À partir de là, ce réseau libertaire et ces courants politiques communistes vont plus ou moins se côtoyer et s’entraider, sans pour cela que tous les points de vue politiques soient vraiment abordés, échangés ou approfondis. Toutefois, cet acquis relationnel se concrétise par « la nuit bleue antinucléaire » du 19 novembre 1977, une série d’attentats à l’aide d’explosifs dans diverses villes visant entre autres des structures d’EDF. Ces destructions sont revendiquées par CARLOS (Coordination Autonome des Révoltés en Lutte Ouverte contre la Société). Cette coordination CARLOS est composée de groupes et d’individus
autonomes, libertaires ou d’obédience communiste révolutionnaire (ex-membres de la Gauche prolétarienne, ex-NAPAP ou de la mouvance de l’autonomie parisienne, issue du courant Camarades)… Cette intervention ne se situe pas seulement dans un registre antinucléaire mais dans une lutte anticapitaliste comme on peut le constater en lisant le communiqué.
« Le développement forcené actuel de l’énergie nucléaire est un choix irréversible que le capitalisme nous impose. De par son fonctionnement, sa nature, l’énergie nucléaire est la caricature d’un univers hiérarchisé, technocratisé, militarisé, où nous n’intervenons en rien. L’État ne respecte même plus sa propre légalité pour la construction des centrales nucléaires, l’ouverture des mines d’uranium, l’extension des usines de retraitement des déchets, etc. Le choix de l’énergie nucléaire, de par la concentration des moyens économiques, technologiques, humains, est l’occasion rêvée pour le capitalisme de pérenniser sa domination sur nos vies. Une centrale nucléaire, une fois construite, ne peut être détruite avant 20 ans. C’est ici qu’un moratoire limité apparaît clairement comme démagogique. La valse hésitation du PS est bien dans la lignée récupératrice, démagogique, de ce parti attrape-tout. Refuser l’énergie nucléaire serait remettre en cause radicalement le capitalisme, ce qui fait sourire quand on voit la bousculade des cadres socialistes, dans la débandade forcenée de leur appétit de pouvoir. Ne nous trompons pas : nous aurons une bombe à gauche, une énergie nucléaire à gauche, avec des flics de gauche et des enterrements démocratiques. Quant au PC, avec ses vues totalitaires et bureaucratiques, il ne peut que cautionner le développement d’une énergie nucléaire dont il aurait le contrôle.
Par ailleurs, le développement actuel des recherches sur l’énergie solaire, s’orientant vers de grosses unités de production, montre que l’intérêt du capital réside dans la concentration de l’énergie, pour garder le contrôle de sa redistribution. La lutte contre le développement de l’énergie nucléaire ne peut se cantonner dans l’opposition légaliste des partis et syndicats. De même, il est évident que les manifestations antinucléaires et écologiques ont révélé l’existence d’une contestation profonde de cette société sur les bases d’un refus de tout centralisme, toute hiérarchie, contre le travail salarié et la consommation à outrance, ces rassemblements ne peuvent suffire à stopper le pouvoir. Il est indispensable d’intensifier les actions de sabotage qui touchent directement le pouvoir dans ses intérêts économiques et permettent de retarder, voire de stopper la construction des centrales, mines, usines liées au nucléaire. Quoi qu’il en soit, le nucléaire n’est qu’un des aspects les plus apparents de l’exploitation généralisée du capitalisme qui ne peut être mis en échec que par l’auto-organisation des individus et par la prise en main de tous les aspects de notre vie quotidienne. »
Communiqué signé CARLOS (Libération du 22 novembre 1977)
Précisons que les groupes agissant à ce moment-là en France n’ont pas tous accepté de prendre part à cette soirée ou connu l’existence du projet de cette « nuit bleue ». Ce qui veut dire que la
coordination CARLOS ne regroupait pas l’ensemble des groupes libertaires ou autres qui pratiquaient en France des actes de lutte armée. Pour des raisons de sécurité ou de clandestinité, tous les groupes ayant ce type d’activités ne se connaissaient pas ou ne souhaitaient pas se connaître. La pratique d’actions illégales entraîne certaines mesures de sécurité, la discrétion, le cloisonnement entre groupes… N’oublions pas que la répression est omniprésente ― filatures, écoutes téléphoniques, vols de courrier, intimidations diverses, perquisitions, interrogatoires, sévices, incarcérations, enlèvements de militants par la police politique (dans les années 1980, à Bordeaux,
Lyon, Toulouse, Paris…) ― pour obtenir sous la pression des informations sur des personnes recherchées ou responsables d’actions de lutte armée.
La fin de l’été 1978 marque la rupture entre divers groupes autonomes présents au sein de ce réseau coordination CARLOS.
Certains, enthousiasmés par la « puissance de feu » des groupes autonomes, par un mouvement social qui localement (les mineurs et les sidérurgistes à Denain, Longwy…) réagit violemment aux restructurations capitalistes, pensent que la période est favorable pour radicaliser et structurer le mouvement. Ils décident la constitution d’une organisation armée. Ils veulent passer à un niveau supérieur d’affrontement qui suppose aussi des exécutions ciblées comme le pratiquent certaines organisations de lutte armée en Allemagne, en Italie ou en Espagne. C’est de ce courant que va naître l’organisation Action Directe.
Les autres groupes refusent l’organisation pour diverses raisons. Tous les individus n’ont pas la même analyse de la situation, la même conception, la même stratégie sur le combat à mener. Concevoir une organisation permanente qui s’affirme en guerre contre l’État va à contre-courant de leur pensée et de leur mode d’organisation. Ils restent sur des bases mouvementistes et assembléistes. L’organisation rompt avec la pratique de groupes issus de mouvements diffus, organisés de manière horizontale. Ils sont pour la multiplication des groupes affinitaires où les individus du groupe décident en assemblée de leur propre action et limitent ainsi les possibilités d’infiltration policière. La permanence d’un sigle, en plus d’attirer la répression, permet à la justice, en cas d’arrestation, d’accumuler les charges (le dossier pénal des GARI en était la démonstration). Ces groupes sont déjà très critiques sur les orientations avant-gardistes des organisations marxistes-léninistes de lutte armée style Brigades Rouges (Italie), Rote Armee Fraktion (Allemagne). Ils s’opposent à l’hégémonie de ce type d’organisation sur le mouvement. Ils sont conscients que ce
n’est pas en tuant des tenants du capital qu’un contre-pouvoir peut gagner du terrain et faire lever un mouvement social. Le capital se fout que l’un de ses serviteurs soit exécuté. Pour lui, les hommes ne comptent pas, mais par contre le sabotage de l’outil de travail qui bloque la production lui fait perdre du temps et de l’argent. Une transformation sociale ne peut reposer sur la seule utilisation des armes et des explosifs. La lutte armée ou les actions armées ne sont pas une finalité, les formes d’intervention sont (et seront) multiples et variées. Créer une armée, qu’elle soit rouge ou noire, induit une clandestinité permanente et le repli sur cette seule forme de lutte.
Action Directe va apparaître médiatiquement le 1er mai 1979 en revendiquant une série d’attentats à Paris, puis va poursuivre sa route, commettre d’autres attentats. L’organisation va s’allier avec la Rote Armee Fraktion (RAF) à partir de 1985… En France, elle va tenter d’exécuter, en 1985, le général Blandin, contrôleur général des armées, et, en 1986, le pdg de la branche armement de l’entreprise Thomson, Guy Brana. Elle va abattre, en 1985, le général Audran, l’un des responsables
au ministère de la Défense des affaires internationales, dont les ventes d’armes… et, en 1986, Georges Besse, pdg de Renault.
Les groupes autonomes vont, eux, perpétrer divers attentats ou sabotages et organiser de nouvelles coordinations qui agiront à la fin des années 1970, notamment en 1978 et 1979, en solidarité avec des autonomes libertaires incarcérés en Espagne et pendant les années 1980 sur le terrain anticarcéral, antinucléaire (sur ce thème, voir Golfech, le nucléaire : implantation et résistances, édité par le CRAS en 1999)…
Depuis l’année 1968, des centaines d’actions de lutte armée ont été revendiquées ou pas par les groupes autonomes. À notre connaissance, aucune exécution de personne n’a eu lieu, excepté l’acte de l’anarchiste autonome Jean Bilski. Le 14 mai 1976, à Paris, Bilski armé d’un P38 abat Jacques Chaine, pdg du Crédit Lyonnais et se suicide immédiatement après avec la même arme.
La constitution de l’organisation Action Directe vu par Action Directe
Voici les extraits de deux textes émanant d’Action Directe qui abordent la genèse de l’organisation. Ils nécessitent quelques mises au point. Le contenu de ces textes est intéressant ; ceux qui souhaitent en savoir plus sur cette organisation peuvent se renseigner et éventuellement se procurer ces documents aux adresses indiquées en fin de document.
Le premier est un extrait d’« Éléments chronologiques ― Action Directe » paru dans Cahier Front, n° 6, non daté mais vraisemblablement publié vers la fin des années 1990.
« 1977-1978 : L’année 1977 est marquée par l’émergence du mouvement autonome européen et par sa liaison avec les offensives de la guérilla en Allemagne et en Italie. En France, des militants révolutionnaires issus de nombreuses et diverses expériences françaises et étrangères, depuis 1968, initient un processus pratique de convergence. Et ils établissent une coordination politico-militaire, interne au mouvement autonome. Dans cette coordination se retrouvent ainsi d’anciens membres de groupes armés, de la résistance antifranquiste ― MIL (Mouvement Ibérique de Libération) et GARI (Groupes d’Action Révolutionnaire Internationalistes) ―, des membres de groupes autonomes nés après la dissolution de la Gauche Prolétarienne, comme les Noyaux Armés Pour l’Autonomie Prolétarienne, mais aussi de nombreux militants ayant rompu avec les politiques légalistes et parasyndicales de l’extrême-gauche groupusculaire. Durant près de deux ans, cette coordination mènera de nombreuses actions de sabotage et de préparation à la lutte armée. Des nuits bleues comme celle contre la construction de la centrale de Malville, 23 attentats sur tout le territoire revendiqués carlos (Coordination Autonome Radicalement en Lutte Ouverte contre la Société). Une nuit bleue en riposte à l’extradition de Klaus Croissant vers l’Allemagne et de nombreuses actions après l’assassinat dans leurs cellules des camarades de la RAF Andreas, Gundrun et Karl… mais aussi des actions contre les nouveaux négriers et la flexibilisation du travail, telles les opérations de la CACT (Coordination Autonome Contre le Travail) à Toulouse contre les ANPE et les agences d’intérim…
1979 : Au cours de l’hiver 1978-1979, la coordination décide de faire le saut à l’organisation de guérilla. Le 1er Mai, elle scelle cette détermination en attaquant les armes à la main le siège du patronat (CNPF, Conseil National du Patronat Français).
Action Directe n’est pas apparue par génération spontanée. Des individus ou des groupes ayant eu des expériences diverses de propagande armée ont ressenti la nécessité, au-delà d’actions
ponctuelles ou de campagnes politiques (comme en 1977…), de se donner un instrument afin de promouvoir une stratégie communiste… »
Le second est un extrait d’« Interview du collectif des prisonniers d’AD », publié en 2001 sous forme de brochure par Anarchist Black Cross de Gand (Belgique) qui a réalisé cette interview entre le printemps 1999 et l’été 2000. Vingt questions sont posées au « Collectif des prisonniers d’AD ». Dans la formulation de la première question, il est affirmé que le MIL et les GARI sont présents lors de la constitution d’AD. Dans sa réponse le collectif confirme.
Anarchist Black Cross de Gand (Belgique) : « Avant d’entrer dans l’histoire d’AD propre, nous voudrions parler de la « préhistoire » d’AD. Préhistoire qui est restée largement sinon non écrite en tout cas méconnue et donc assez importante en soi. Préhistoire qui est d’ailleurs, à notre avis, aussi importante pour comprendre l’histoire interne d’AD. Donc, AD est née, en 1979, d’une coordination de différents groupes armés, comme le MIL, les GARI, les BI ou les NAPAP, dans un temps marqué par l’autonomie. Pourriez-vous en dire plus sur ces groupes et sur la coordination autonome elle-même ? »
Collectif des prisonniers : « Depuis le début des années 1970, de nombreux groupes tentaient de résoudre dans la pratique la question de la contre-violence révolutionnaire, agissaient sur la lancée du mouvement des barricades, des occupations d’usines, des luttes à la base… Constitués en
réseaux d’autodéfense, ils portaient toute la résolution de l’illégalisme de masse dans les grandes mobilisations qui se sont succédé lors de ses années d’effervescence antagoniste. Concrètement, ces réseaux formaient ce que la GP (Gauche Prolétarienne), à son époque, avait appelé de tous ses voeux : les bases de la résistance populaire armée à la dictature. Au printemps 1977, la coordination autonome, en se formant, dépassa le cadre groupusculaire gauchiste. En particulier, elle sortait des clivages idéologiques pour unifier sur le terrain des luttes clandestines, la tendance mao, à celle surgie de Mai, faite d’une mosaïque de groupes anar, anarco-communistes, d’ultra-gauche, clandestins ou non. Il y avait donc là des groupes armés mao comme les Brigades Internationales, des autonomes tels les Noyaux Armés Pour l’Autonomie Populaire ou encore l’organisation Camarades et l’ancienne coordination antifranquiste des groupes autonomes qui formaient les MIL-GARI (Movimiento Ibérico de Liberación et Grupos de Acción Revolucionaria Internationalistas)… »
Mise au point
Nous ne pouvons partager l’interprétation que fait Action Directe des événements qui se sont déroulés au cours des années 1977, 1978 et 1979. AD est née d’une coordination d’individus et de différents groupes armés dont la plupart sont issus de la mouvance autonome. Cela personne ne peut
le contester, même G. Debord qui affirmait dans la préface d’Appels de la prison de Ségovie, Champs Libres, 1980, que cette organisation était une émanation de l’État. Mais, on ne peut mêler à la création d’AD, le MIL et les GARI (comme il est dit dans l’interview réalisée par ABC Gand). On en voit les raisons idéologiques dans notre document avec en particulier l’autodissolution du MIL et des GARI en août 1973 et 1974. Que des individus aient traversé certaines de ces expériences (MIL et GARI) et participent à la constitution d’AD c’est indéniable ! C’est le cas de l’un d’entre eux. À la création d’AD, il n’y a qu’une personne de l’ex-MIL. Combien de membres de l’ex-GARI ? Deux, trois ?
Dans la « coordination », que nous appelons plutôt réseau, de 1977-1978, il y avait plusieurs ex-MIL et ex-GARI, mais tous n’ont pas souhaité prendre part à la création de cette organisation. Ce n’est pas la coordination qui décide de créer AD, mais certains groupes et individus présents dans cette coordination.
AD affirme à tort : « … Au fil des mois, les groupes armés ont convergé dans l’élan du mouvement autonome qui avait la coordination pour épine dorsale. Puis ils s’en sont lentement détachés pour assurer leur véritable rôle comme organisation de guérilla… » (p.7 et 8 de la brochure « Interview du collectif des prisonniers d’AD ») ou « … la coordination décide de faire le saut à l’organisation. » (« Éléments chronologiques ― Action Directe ») puisqu’un certain nombre de groupes et d’individus ayant agi dans cette coordination réseau ne vont pas participer à l’activité d’AD.
En ce qui concerne les membres des BI [3], des NAPAP et autres protagonistes qui auraient été présents à la constitution d’AD, c’est à eux d’en parler et d’éclairer le mouvement sur leur position.
Quand AD présente ou sous-entend la « coordination » comme une organisation structurée, c’est un peu rapide. Rassembler tous ces groupes ou individus qui étaient en contact sous le label «
coordination » est contestable. Pour certains de ceux qui ont formé AD c’est une coordination politico-militaire (« Éléments chronologiques… »). Cette formulation (marxiste-léniniste) laisse entendre que l’organisation est déjà en place. Pour nous, c’étaient des relations inter-groupes (autonomes de pensée et d’action). La coordination n’a pas été une organisation armée traduisant en actes les aspirations d’une mouvance ou d’un appareil politico-militaire structuré au sein du mouvement autonome. Même si quelques individus se réunissant à Paris ont tenté durant cette
période de le mettre en place. Ce n’est pas facile de militariser des libertaires.
Quand AD écrit : « Durant près de deux ans, cette coordination mènera de nombreuses actions de sabotage et de préparation à la lutte armée. Des nuits bleues… » (« Éléments chronologiques… »), ce n’est pas tout à fait exact. Cette « coordination » ne va pas durer « près de deux ans », mais « éclater » au bout d’un an à la suite des désaccords concernant la création d’une organisation armée. Et sans que pour cela leurs actes soient décidés par un quelconque appareil « politico-militaire », des groupes et individus reliés à cette coordination réseau vont commettre en octobre et novembre 1977 divers attentats contre des objectifs liés à l’économie allemande en réponse aux « assassinats/suicides » d’Andreas Baader, Jan Carl Raspe et Gudrun Ensslin, membres de la RAF incarcérés à la prison de Stammheim/Stuttgart (Allemagne). Quant à la nuit bleue contre l’extradition de l’avocat allemand Klaus Croissant, nous n’en avons pas connaissance, bien qu’il y ait eu beaucoup d’actions de solidarité. Par contre, en novembre 1977, ce réseau va être à l’origine de la nuit bleue antinucléaire revendiquée CARLOS. Actions pas seulement contre la centrale de Malville, comme il est écrit dans « Éléments chronologiques… ». La coordination n’est pas à l’origine des sept attentats à l’explosif commis à Toulouse, dans la nuit du 4 au 5 mars 1978 contre des ANPE et des agences d’intérim. Il s’agit d’une coordination toulousaine de divers groupes dont certains avaient participé à la soirée CARLOS.
Au cours de ces années on ne peut parler d’une coordination, mais de plusieurs réseaux où chaque groupe (ou individu) a ses propres contacts en fonction de ses affinités… On peut percevoir cela comme des cercles qui parfois s’entrelacent.
AD ne peut réduire l’activité du MIL et des GARI à de la « résistance antifranquiste » (voir « Éléments chronologiques… ») :
« Le MIL n’est pas né de la volonté de lutter contre le franquisme car la dictature n’en fut pas le détonateur. L’objet de sa lutte était le capital, sous tous ses aspects. »
Santi Soler, membre de l’ex-MIL, mars 1985
« … notre combat n’est pas politique mais bien plus total global. Nous ne luttons pas seulement contre le franquisme, contre le fascisme, qui ne sont que des formes du capital, mais contre le capital lui-même qui domine la France démocratique comme l’Espagne fasciste… Et si les attentats commis n’ont pas fait de victimes c’est que nous avons pris les précautions nécessaires. Nous agissions pour tenter de sauver des vies humaines non pour tuer… »
Extrait d’un texte de novembre 1974, signé « Les dynamiteurs basques », un groupe du Pays Basque nord ayant participé à la coordination des GARI
D’hier à aujourd’hui
Actuellement, sur Action Directe, nous n’avons connaissance que de la situation pénale, des conditions de détention et de l’état de santé des membres incarcérés. Depuis 1987, aucune action de lutte armée n’a été revendiquée par AD.
« Notre arrestation en 1987 faisait suite à d’autres. Elle mit fin à l’activité politico-militaire de notre organisation. Depuis nous nous efforçons à travailler politiquement malgré les conditions, nous discutons par écrit avec d’autres prisonniers révolutionnaires, nous participons à une publication (Front), aussi en traduisant des textes de discussions ou d’actions, en particulier du mouvement révolutionnaire européen. Le sens reste de ne renoncer à rien du combat nous ayant conduit ici : À travers un processus de guerre révolutionnaire prolongée, penser nécessaire et possible la révolution des Conseils mettant en place de nouveaux modes d’organisation sociale et politique… »
Extrait d’un texte de 1997 rédigé par des prisonniers d’Action Directe
Nous avons vu, que de multiples groupes autonomes pratiquant des actes de lutte armée se sont constitués depuis 1968. Certains se sont évaporés après une courte existence, le temps d’une ou deux actions. Quelques-uns ont duré plusieurs années. On peut vérifier qu’à la fin des années 1980
l’activité des groupes d’action armée est en nette régression. Pour connaître les raisons de leur silence, il faudrait poser la question à des centaines d’actrices et d’acteurs, clandestins à l’époque, et que nous ne connaissons toujours pas aujourd’hui. Chaque groupe a sa propre histoire ; contrairement à la légende, elles ne sont pas toujours liées à la répression. On ne peut nier que des groupes ont été démantelés par les services de la gendarmerie ou de la police, que les arrestations et
l’enfermement ont détruit des relations affinitaires ou brisé des individus… Mais bien que nous soyons nombreux à avoir franchi les portes des prisons, d’autres ont su ou ont pu les éviter. Par exemple, personne n’a été arrêté pour les multiples actions explosives revendiquées par les groupes suivants qui ont utilisé plusieurs fois le même sigle : Solidarité Révolutionnaire Internationale (1975-1977), Gdansk-Bakounine (1981-1983), Groupes d’Action Anarchiste (Toulouse 1982-1983), CLODO, alias Comité Liquidant et Détournant les Ordinateurs (région toulousaine, 1980-1984), Géronimo (région parisienne, 1982-1985), Black War (région parisienne, 1985-1988)), Gracchus Babeuf (région parisienne, 1989-1990)…
L’amitié, l’affinité politique, le plaisir à l’action, la complicité, parfois la mise en commun des moyens de survie, sont les carburants d’un groupe affinitaire, de réflexion, d’action, voire d’action armée. Lorsque ses éléments ne s’emboîtent plus, pour cause de séparations affectives, de désaccords politiques, de retour au salariat, de repli sur la famille, de révolte qui s’émousse, d’usure psychologique provoquée par le combat clandestin…, le groupe réduit ses activités ou disparaît. Nous pourrions parler à ce sujet de notre propre expérience. L’éclipse de ces groupes est donc due à de multiples facteurs : à l’absence de mouvements sociaux radicaux ; au déclin de la période révolutionnaire que certains situent en 1973, d’autres en 1977 ou au début des années 1980 ; à la situation politique, bien sûr.
La fin des années 1980 et les années 1990 sont marquées par l’apparition d’une violence menée par des intégristes islamiques (soutenus par des États) qui permet aux tenants de l’ordre social de faire l’amalgame entre un acte lié à la lutte des classes et celui qui vise n’importe quel individu, n’importe quelle foule (terrorisme aveugle). Cette situation a amené les groupes en activité ou en formation à tenir compte de ce piège et à repenser leur forme d’intervention.
Aujourd’hui, en ce début de siècle, nous constatons que les individus et groupes autonomes continuent à agir et que ce courant anti-capitaliste n’a pas été éradiqué. Il existe toujours diverses structures autonomes de réflexion et d’action. L’activité des groupes autonomes pratiquant des
actes de lutte armée est quasiment inexistante (à des degrés moindres dans le reste de l’Europe). Mais des actes de résistance offensive ont toujours lieu dans plusieurs pays européens : interventions contre la société marchande, contre les dirigeants du monde, contre la société
techno-scientiste-industrielle (saccages de cultures OGM, actions antinucléaires…), contre la répression et ses structures (actions anticarcérales…).
Pour un monde sans classes sociales et un bonheur sans fin.
Collectif éphémère, mars 2005
* * *
Solidarité
Inhumaine, la prison est un outil de répression sociale au service des dominants. Elle enferme principalement les pauvres et les révoltés. L’un des points du programme révolutionnaire est sa destruction et, ainsi, la libération de tous les prisonniers, hommes, femmes et enfants. Ce point n’a pas l’assentiment de tous, nous savons que ce n’est pas demain la veille qu’il sera appliqué, mais il reste l’un des fondements de notre utopie. Dans un premier temps, nous soutenons les
revendications des prisonniers, abolition de l’isolement, des longues peines, libération immédiate des détenus malades et de tous ceux qui peuvent bénéficier d’une libération conditionnelle…
Situation pénale des membres ou ex-membres d’AD encore incarcérés
Arrêté le 15 mars 1984, Régis Schleicher (détenu à la centrale de Clairvaux, Aube) a été jugé à diverses reprises en 1987 et 1988, et condamné à la réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une peine de sûreté de 15 ans. Il a droit à la liberté conditionnelle depuis l’automne 1999.
Arrêtés le 21 février 1987, Jean-Marc Rouillan (détenu à la centrale de Lannemezan, Hautes-Pyrénées), Georges Cipriani (détenu à la centrale d’Ensisheim, Haut-Rhin), Nathalie Ménigon (détenue à la centrale de Bapaume, Pas-de-Calais) ont été tous les trois, après divers procès,
condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une peine de sûreté de 18 ans. Ils ont droit à la liberté conditionnelle depuis février 2005.
Arrêtée le 21 février 1987, Joëlle Aubron, condamnée aux mêmes peines, a été libérée le 14 juin 2004 pour raison médicale. [ Elle est décédé le mercredi 1er mars 2006. ]
Ceux de « L’affiche rouge » et de la « branche lyonnaise d’AD »
Ce groupe est issu de l’une des scissions survenues au début des années 80 au sein d’AD. Dans un premier temps, le groupe va revendiquer ses interventions au nom de « l’Affiche rouge » ; puis, quelques années plus tard, sans renouer avec AD, il va de nouveau signer AD.
Arrêté le 10 octobre 1984, Émile Ballandras (détenu à la centrale de Clairvaux, Aube) a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une peine de sûreté de 16 ans. Il a droit à la liberté conditionnelle depuis 2000.
Arrêté le 28 mars 1986, André Olivier (détenu à la centrale de Saint-Maur, Indre) a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une peine de sûreté de 18 ans. Il a droit à la liberté conditionnelle depuis 2004.
Arrêté le 28 novembre 1987, Max Frérot a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une peine de sûreté de 18 ans. Il aura droit à la liberté conditionnelle fin 2005.
* * *Reproduction vivement conseillée
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Notes
[1] En janvier 1978, ils sont quatre, hommes et femmes, de ce groupe libertaire de Barcelone, à être incarcérés et inculpés d’attaques à main armée et d’attentats à l’explosif contre des édifices publics. Au cours de la même année en Espagne, plusieurs groupes autonomes pratiquant la lutte armée sont atteints par la répression (voir Appels de la prison de Ségovie, Champs Libres, 1980).
[2] La Gauche Prolétarienne (GP) est une organisation politico-militaire communiste, de tendance maoïste, créée en 1969. Elle s’autodissout en 1973. Au cours de ces années, elle va pratiquer des
actions de lutte armée et, en 1970, elle crée son bras armé la Nouvelle Résistance Populaire (NRP).
[3] Les Brigades Internationales sont une organisation communiste de tendance marxiste-léniniste, créée en 1973, après le coup d’État militaire au Chili. La plupart de ses membres proviennent de la Gauche Prolétarienne. De 1974 à 1977, les BI vont se concentrer sur la situation internationale et sur la solidarité en exécutant ou blessant grièvement, à Paris, des diplomates étrangers (ambassadeurs, attachés culturels ou militaires) présents en France.