Non Fides N°1
Journal anarchiste apériodique N°1. Paris.
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Adieu Non Fides (2009)
Au fil de notre évolution, il serait malhonnête de dire que nous ne nous sommes jamais senti dépassés par l’accueil que nous avons reçu ici et là. Un accueil souvent respectueux dans sa réciprocité, mais un accueil la plupart du temps fait d’enthousiasme acritique, ou à l’inverse d’une stigmatisation permettant d’éviter tout réel conflit d’idées. L’un comme l’autre nous ont encouragés à vouloir en faire toujours plus, et c’est cette course effrénée qui a amené ce sentiment d’aliénation que nous ressentons aujourd’hui, de Non Fides par rapport à ceux qui l’animaient. Comme si Non Fides n’était plus qu’une représentation permanente de lui-même.
Nous tenons à rappeler plusieurs choses. Tout d’abord, nous n’avons jamais voulu, ni prétendu représenter quoi que ce soit, ni une organisation, ni une tendance au sein d’un mouvement plus large, ni un courant, ni une fraction quelconque d’un hypothétique mouvement social, et ce malgré les jugements à l’emporte pièce qui nous ont été adressés : tantôt nous étions les « totos », tantôt les « intellos », tantot les « rupturo-rupturistes » tantôt les « insurrectionalistes », tantôt des « assoiffés de violence ». Si nous avons certainement fait l’erreur plusieurs fois d’employer ou de reprendre à notre compte des « ismes » superflus, parfois pour les critiquer (mais sans que personne ne s’en aperçoive), parfois pour les pousser plus loin, il semble que ces erreurs, nous les avons payées cher jusqu’au bout de l’aventure.
Si nous parlons d’aventure, c’est bien cependant, que nous ne regrettons rien, pas même nos erreurs qui ont contribué à notre évolution et dont nous ne ressentons pas le besoin de nous cacher, ou de les nier. Le journal, et le site qui lui est attaché, ont été le reflet de l’évolution qui a traversé chacun de nous ; une évolution qui n’est jamais facile, certes, mais nécessaire, et qui est toujours restée attachée à son autonomie vis-à-vis des idéologues et des logiques de milieu, parfois avec tant de conviction que nos choix n’ont pas toujours reflété notre objectivité.
La publication Non Fides n’a jamais rassemblé que quelques individus motivés, et comme nous l’avons régulièrement répété, n’a jamais affiché la volonté de s’agrandir, ni fait quoi que ce soit dans ce sens. Au contraire nous avons répété à qui voulait bien l’entendre que nous préférions la multiplication des initiatives à l’unité derrière une grande et même chapelle. Toujours pousser vers la qualité, quitte à ce que la quantité en pâtisse ou ne soit pas au rendez-vous. C’est aussi pour cela que la volonté majeure derrière les publications, a toujours été de lutter contre la confusion, le frontisme et la fausse unité. Ce type de position ne nous a semblé que très rarement comprit, et cela fait partie des raisons qui nous poussent à arrêter.
Le journal est devenu de plus en plus important au fil du temps, de plus en plus présent. Cela, ajouté à l’appauvrissement général dont nous parlions précédemment, nous a amené à un résultat que nous ne souhaitions pas mais que nous avons malheureusement contribué à renforcer, à savoir une impression d’hyper-visibilité et d’omniprésence, souvent virtuelle. Nous admettons sans gène notre part de responsabilité. Cet enthousiasme nous a entre autre amenés à nous doter d’un certain nombre d’outils pratiques (site, brochures, infokiosque…) qui ont contribué à renforcer l’image d’une organisation large et formelle, et ce malgré nos vains efforts pour infirmer ces critiques. Face à la confusion ambiante (dont certains d’entre nous étaient issus), et contre laquelle nous voulions nous inscrire, nous avons eu tendance à forger un discours anti-organisations, avec la volonté de déconstruire chaque pan de ce qui nous déplaisait dans leurs divers discours nauséeux. Dans cette bataille, nous sommes sans doute tombés dans un piège malsain, celui de reproduire des réflexes d’organisation, même informelle, et par là, de nous constituer en tant que « pôle » distinct et facilement étiquettable au milieu de tout ce qui se dit « subversif ». Ceci ajouté à un réflexe de mettre des signatures et des logos là où il n’y en avait nul besoin, et la coupe était pleine. Reste qu’à la fin, et après de nombreuses discussions, nous avons identifié Non Fides comme ce logo que l’on pouvait apposer derrière chacune de nos productions, tel un réflexe conditionné propre aux organisations formelles pour lesquelles nous étions pourtant loin d’éprouver une quelconque sympathie. Cette erreur a été facilitée, à nos yeux, par la place démesurée qu’occupe internet aujourd’hui, et qui fait que les « discussions » entre révolutionnaires ont de plus en plus lieu ailleurs que dans la vie, avec l’appauvrissement qui en découle fatalement, mais aussi toute la cohorte de bassesses, d’insultes faciles et sans conséquences que cela permet, de toute part.
Malgré tout, nous avons toujours tenu à produire un journal papier, avant toute chose, et en priorité. De ce point de vue, nous sommes assez satisfaits du résultat, et contents qu’un journal comme Non Fides ait pu exister, ne serait-ce que le temps de quatre numéros.
Lorsque nous avons publié un « avis aux lecteurs », relatif à la question financière et à nos publications, cela s’inscrivait également dans cette volonté de maintenir l’existence de la presse écrite anarchiste, et quand nous disons cela, nous ne parlons évidemment pas d’une diffusion suivant les schémas et les outils de la presse classique, avec ses codes-barre, antivols, ISBN, et autres kiosques fourre-tout. Nous avions évidemment en tête la volonté de briser une tendance à la consommation de journaux anti-autoritaires, qui n’apporte rien d’enrichissant, d’un côté comme de l’autre. Cet avis traduisait une certaine lassitude, malgré la masse de compliments oraux que nous avons pu recevoir, mais qui n’allaient pas plus loin. Voici ce que nous disions à l’époque : « Le constat, avec l’émergence d’internet et la perte du contact humain qui en découle, que ce genre de publication est de moins en moins soutenue est largement partagé par une majorité de compagnons éditant du papier. Des publications de qualité meurent, réduisent leurs tirages ou se délocalisent sur le net. Pour des anarchistes, ce constat est plus que navrant. Savoir que de nombreuses personnes promettent des chèques qui ne viennent pas et ne pensent jamais aux frais d’envois qui sont les nôtres, que beaucoup, dans une attitude de consommation toute démocratique ne filent jamais un rond à la presse anti-autoritaire que pourtant ils trouvent de l’intérêt à lire, nous informe d’une détérioration claire des rapports. Avoir le même rapport à une publication comme Non Fides, qu’à des publications commerciales montre également à quel point la société de consommation a su envelopper de sa main sale les petites bulles auto-proclamées subversives. » Cette impression est toujours la nôtre aujourd’hui.
Sortir un journal comme celui-là a toujours été une galère financière pour nous, et il nous semblait qu’il allait de soi dans l’esprit de chacun, qu’un journal prêt à l’emploi et disponible ne puisse pas sortir de nulle part et tomber du ciel. Le tirage a toujours coûté cher, ce n’est pas une nouveauté, et en tant qu’anarchistes, nous ne sommes pas disposés à trouver l’argent par n’importe quel moyen, mais selon notre éthique. Ce choix était assumé, pour créer un certain contact humain, éviter la froideur totale d’un PDF balancé sur le net, lu avec les pieds et rangé dans des dossiers virtuels par des archivistes des mondes parallèles. De notre côté, lorsque nous lisons une publication qui nous intéresse sincèrement, nous nous démerdons toujours pour lui filer un coup de main, même modeste, qu’il soit financier ou non, d’ailleurs ; traduire, reprendre des textes, diffuser les publications… autant de petits gestes qui peinent à devenir réciproques, freinant ainsi la diffusion et la création de liens affinitaires et mutuels, et agrandissant l’isolement. Cette réciprocité anti-consommatrice, éliminant de fait les schémas séparatistes auteurs/lecteurs, nous ne l’avons jamais assez ressenti, encore une des raisons de cette mise à plat générale. En résumé, nous tirons des conclusions assez pessimistes, notamment sur le fait qu’il faille être riche et populaire aujourd’hui pour pouvoir proposer un journal de qualité à prix libre et s’y tenir, et pour que sa diffusion dépasse les petits cercles restreints d’aficionados. Il ne s’agit pas là de considérations économiques, et comme nous l’avons souvent répété, être déficitaires ou non, nous nous foutons de cela. La question était ailleurs : être en mesure de continuer à donner une existence papier à nos publications et à pouvoir en retirer encore un peu de sens. Un journal qui ne s’inscrit plus dans une dynamique satisfaisante (émulation, polémiques, discussions, conflits, enthousiasme, solidarité, partage) perd à nos yeux une partie de sa raison d’être.
Tout autre chose : nous avons souvent reçu le qualificatif de « juges » assis dans leur tour d’ivoire, totalement détachés des réalités et délivrant les bons et mauvais points en terme de radicalité, de façon idéologique. Ou alors d’être des « révolutionnaires hors-sol », attendant le Grand Soir en crachant sur toute initiative jugée « molle », « réformiste » et insuffisante. Face à cela, nous répondons simplement que les individus ayant participé à ce journal se sont toujours refusé à reproduire la classique division/séparation entre théorie et pratique, et cela ne changera pas. Non Fides étant un outil anonyme, il n’avait pas à rendre compte des activités de ceux qui le composent. C’est pour cela que lorsqu’on nous envoyait, comme seule réaction à des réflexions, la remarque : « Vous critiquez tout, mais qu’est-ce que vous faites concrètement ? », nous avons toujours refusé de répondre à cela. Tout ce qui a été proposé par le journal Non Fides (journaux, affiches, tracts, brochures) a eu une existence réelle : les journaux en librairies, les brochures sur les tables de presse, les tracts diffusés dans la rue, les affiches collées sur les murs. Les tables de presse, par exemple, ont toujours fait partie de nos activités régulières, et cela non plus ne s’arrêtera pas. Aussi, aux « anarcho-flics » qui nous ont sans cesse emmerdés avec leurs questions sur la concrétude de nos activités, nous n’avons qu’une seule chose à dire : sales flics. Chercher un ou des auteurs, publiquement, derrière chaque texte, chaque affiche, tract ou action, c’est faire un travail de keuf, c’est mériter sa correction.
Un journal disparaît, mais pas les individus qui le faisaient, et ceux-ci comptent fermement continuer ce qu’ils ont fait jusqu’à présent avec l’expérience de leurs erreurs, mais aussi à explorer des voies inconnues, avec au cœur une irrépressible volonté de subvertir ce foutu monde dans lequel nous vivons et contre lequel nous nous battons, et de ne pas laisser en paix tout ce qui contribue à nous maintenir esclaves. Un journal qui meurt pour exploser en une multitude de projets qui ne s’y référenceront pas.
A bientôt, ailleurs.
Vive l’anarchie.
P.-S.
On pourra toujours commander des exemplaires de Non Fides N°4, à l’adresse habituelle. Ce site, lui, plutôt que de se contenter d’être la vitrine d’un journal, continuera son chemin autrement. Il prendra peu à peu la forme d’une base de donnée anarchiste internationale et multilingue qui pourra servir (à celles et ceux qui en ressentent le besoin) d’archive de tracts, affiches, journaux, textes, brochures, analyses, actualité et contre-information. Nous continuerons le travail effectué sur les vieilleries, ainsi que les traductions. Nique la France, guerre sociale.
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