Par Zo d’Axa (1898)
Aujourd’hui c’est la fête du Travail !
A l’heure où les syndicats s’apprêtent à fêter l’aliénation, la collaboration de classe et la Merguez pas fraiche, l’occasion est belle de ressortir ce vieux texte extrait de La Feuille N°24 de Zo D’Axa, écrit il y a 113 ans, mais toujours d’actualité.
Les puits qui parlent
Nous manquerions à notre plaisir, si, après avoir salué, comme il convenait, la magistrature et l’armée, nous ne nous empressions de nous incliner devant le Peuple, avec tout le respect disponible.
Au milieu des ruines et des hontes que les classes dirigeantes accumulent, il fait bon, pour chasser le dégoût, de regarder les classes laborieuses. Tandis que les officiers et les juges se font pincer par leurs propres gendarmes, on veut assister à l’éveil d’une Démocratie avertie. Les gouvernements exploiteurs ont donné ce qu’ils pouvaient commettre : le prolétariat exploité, conscient aujourd’hui, se redresse.
La crise que la France traverse a instruit tous les citoyens. Travailleurs des champs et des villes, les corvéables et les dupés, ont été forcés de penser. Ils vont agir…
Non ! ils parlent.
Ce sont les rudes gars de la mine, ceux qui pour un dérisoire salaire risquent le grisou tous les jours — y a-t-il même des jours pour eux ? L’éternelle nuit sous les galeries — ce sont ceux des houillères sinistres qui réunis, dimanche passé, ont proclamé leur opinion.
La parole de Vérité devait sortir des puits profonds.
Ça s’appelle un ordre du jour.
Affichons-le :
« Les membres du Conseil de Conciliation et d’Arbitrage des mines du Pas-de-Calais, représentant les concessions houillères de Lens, Courrières, Dourges, Liévin, Nœux, réunis à Lens, le dimanche 22 janvier, saluent respectueusement le noble drapeau tricolore, emblème de la Patrie, et l’armée nationale, gardienne de l’honneur et de la dignité de la France. Ils flétrissent, au nom des courageuses populations minières du Pas-de-Calais, dont les familles nombreuses donnent au pays tant et de si bons défenseurs, les menées perfides de ceux qui veulent semer la division entre les citoyens. »
Bravo, Mineurs ! je m’en doutais… La patrie, le Patronat peut compter sur vous. C’est gentil. Ne faites-vous pas partie du sol ! À force de le gratter en-dessous, vous avez appris à l’aimer. Et vous aimez le Drapeau aussi, parce que, lui, c’est un emblème. Allons, tant mieux. Vous aimez l’Armée, cette gardienne de votre honneur et de votre dignité… C’est du luxe. Vous aimez les fusils Lebel qui partent tout seuls — comme à Fourmies, — les baïonnettes auprès des puits où vos camarades ont fait grève. Quoi encore ? Vous aimez le bâton…
Vous êtes contents — tant que ça !
Peut-on songer sans stupeur à ces êtres dénués de tout, ces forçats à casaque noire, ces « intellectuels » de la mine qui profitent du repos dominical pour exhiber leur sentiment de servilité inébranlable ?
Voilà des gaillards pour lesquels la mère Patrie a peu de fleurs et de sourires : en échange de la fortune qu’ils remontent, risquant leur vie, pour que leurs maîtres, les actionnaires, aient des châteaux à la surface, on leur donne un morceau de pain. Mais c’est assez. Ils sont bien aises :
Que les mineurs sont donc heureux !
C’est à croire que ces bipèdes descendent, par sport, dans les fosses. Ils s’indignent à la pensée qu’il puisse y avoir des divisions entre les citoyens, une lutte de classes peut-être. Pourquoi, en effet, la bataille, si les esclaves sont satisfaits ? C’est eux que ça regarde. Et ils s’agenouillent — l’habitude du travail courbé.
Allez ! au trot ! houst ! à la mine… Un contremaître a sifflé.
Vous reparlerez de la Patrie, dimanche.
Que les propriétaires soient chauvins, au nom de leurs maisons de rapport ; que les financiers vantent l’armée qui, moyennant solde, monte la garde devant la Caisse ; que les bourgeois acclament le drapeau qui couvre leur marchandise — cela s’explique sans effort.
Même, que certains demi-philosophes, gens de calme et de tradition, numismates ou archéologues, vieux poètes ou prostituées, se prosternent devant la Force — c’est encore compréhensible.
Mais que les ilotes, les maltraités, le Prolétariat soit patriote — pourquoi donc ?
Ah ! oui, je sais : le clocher du village, et le cimetière, et le souvenir de Napoléon, et Louis XIV… Cela se chante. C’est un refrain de café concert, une ariette du parlement, une goualante de caserne.
Les mineurs l’ont appris au claque, du temps qu’ils mangeaient la gamelle.
Ils ne la mangent plus tous les jours. Peu nourris et mal logés, forcés de rationner leurs mioches qui consomment et ne rapportent pas encore, ils n’ont rien à eux sous le ciel morne, rien que la misère — et une patrie !
Ce beau cadeau leur a été fait par ceux-là mêmes qui les exploitent, abusent d’eux, et trouvent ainsi le moyen de ne pas les payer quand ils leur font prendre le fusil pour défendre les terres des riches, les biens du maître, ce qu’ils appellent : la fortune de la Nation.
Qu’en avez-vous de cette fortune, citoyens sans-le-sou, électeurs ? Quelle est votre part du patrimoine ? Vous êtes nés ici, c’est vrai. Vous y travaillerez jusqu’à mort. Vous êtes les fils de la glèbe.
Vous êtes de bons indigènes.
Mais vous êtes fous quand vous parlez d’une patrie : vous n’en avez pas.
N’importe ! la patrie du patron est celle des bons ouvriers.
Les travailleurs du pays noir en arrivent à porter leurs chaînes comme des bracelets de parade.
Ils montent leur misère en drapeau.
Ces blancs ne valent pas des nègres ; ils sont au-dessous de l’oncle Tom. Ces fétichistes toujours battus ont le servage chevillé dans le corps. Ils manifestent, et c’est pour dire, c’est pour bêler qu’ils sont le troupeau docile.
Je n’ignore pas qu’on me répondra que les manifestants de Lens, membres du conseil de conciliation et d’arbitrage, représentent bien plus les exploiteurs que les exploités. Ce sont les faux-frères bruyants.
La masse ne les suit pas.
Je pourrais sembler, l’admettre si je voulais, par courtisanerie pour le peuple, n’aller pas au bout de ma pensée. Un candidat ferait des réserves pour qu’on ne lui cite point telle phrase le jour où il se présenterait ; un démocrate professionnel n’avouerait pas ; moi, je constate :
C’est l’avachissement indécrassable de la masse des exploités qui crée l’ambition croissante — et logique, des exploiteurs.
Les Rois de la mine, de la houille et de l’Or auraient bien tort de se gêner. La résignation de leurs serfs consacre leur autorité. Leur puissance n’a même plus besoin de se réclamer du droit divin, cette blague décorative ; leur souveraineté se légitime par le consentement populaire. Un plébiscite ouvrier, fait d’adhésions patriotardes, platitudes déclamatoires ou silencieux acquiescements, assure l’empire du patronat et le règne de la bourgeoisie.
À cette œuvre on retrouve l’artisan.
Qu’il soit de la mine ou de l’usine, l’Honnête Ouvrier, cette brebis, a donné la gale au troupeau.
Un idéal de contremaître pervertit les instincts du peuple. Une redingote le dimanche, parler politique, voter…, c’est l’espoir qui tient lieu de tout. L’odieux labeur quotidien n’éveille ni haine, ni rancunes. Le grand parti des travailleurs méprise le feignant qui gagne mal l’argent qu’accorde le patron.
On a du cœur au turbin.
On est fier de ses mains calleuses.
Si déformés que soient les doigts, le joug a fait pire sur les crânes : les bosses de la résignation, de la lâcheté, du respect, ont grossi, sous les cuirs chevelus, au frottement du licol. Les vieux ouvriers vaniteux brandissent leurs certificats : quarante ans dans la même maison ! On les entend raconter ça, en mendiant du pain dans les cours.
— Ayez pitié, messieurs et dames, d’un vieillard infirme, un brave ouvrier, un bon Français, un ancien sous-officier qui s’est battu pendant la guerre… Ayez pitié, messieurs et dames.
Il fait froid ; les fenêtres restent closes. Le vieil homme ne comprend pas…
Instruire le peuple ! Que faudra-t-il donc ? Sa misère ne lui a rien appris. Tant qu’il y aura riches et pauvres, ces derniers s’attelleront d’eux-mêmes pour le service commandé. L’échine des travailleurs est habituée au harnais. Au temps de la jeunesse et de la force, ils sont les seuls domestiqués qui ne ruent pas dans les brancards.
L’honneur spécial du prolétaire consiste à accepter en bloc tous les mensonges au nom desquels on le condamne aux travaux forcés : devoir, patrie, etc. Il accepte, espérant ainsi se hisser dans la classe bourgeoise. La victime se fait complice. Le malheureux parle du drapeau, se frappe la poitrine, ôte sa casquette et crache en l’air :
— Je suis un honnête ouvrier !
Ça lui retombe toujours sur le nez.
Je souhaite que les mineurs de Lens ne soient pas, pour cause de famine, forcés de se mettre en grève bientôt. Cependant, alors, ces fouille-terre deviendraient peut-être des hommes. Tout est possible, assure-t-on. En attendant, je les félicite de tirer le charbon allègrement.
Le peuple que par raillerie on a proclamé souverain est une sotte Majesté qui s’habille de laissés pour compte. Il répète quelques grands mots que lui léguèrent après faillite tous les régimes périmés.
C’est lui maintenant le Responsable.
Quand les « gueules noires » sombres et graves, sans dire mot, impénétrables, portant la hache et les pics, descendaient au fond de la mine, la bourgeoisie tressaillait, inquiète, se demandant si ses esclaves, tout à l’heure, ne remueraient pas les épaules ? À présent les capitalistes sont rassurés, les puits parlent : les mineurs sont de bons enfants qui ne demandent qu’à extraire patriotiquement de la houille.
Plus de danger ! l’Édifice social est solidement bâti sur caves. Souvarine est du Syndicat d’arbitrage et de conciliation.
Zo D’Axa – La Feuille, numéro 24 – 1898
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L’Onesto Operaio
Zo d’Axa
Verremmo meno al nostro piacere se, dopo aver salutato come si conviene la magistratura e l’esercito, non ci premurassimo d’inchinarci, con tutto il dovuto rispetto, davanti al Popolo.
In mezzo alle rovine e alle vergogne accumulate dalle classi dirigenti, fa bene, per scacciare il disgusto, occuparsi delle classi laboriose.
È l’incorreggibile infiacchimento della massa degli sfruttati a creare la crescente e logica ambizione degli sfruttatori.
I Re della miniera, del carbone e dell’oro avrebbero proprio torto a preoccuparsi. La rassegnazione dei propri servi consacra la loro autorità. La loro potenza non ha nemmeno più bisogno di richiamarsi al diritto divino, quella frottola decorativa; la loro sovranità si legittima attraverso il consenso popolare. Un plebiscito operaio — fatto di adesioni patriottarde, banalità declamatorie e silenziose acquiescenze — assicura l’impero del padronato e il regno della borghesia.
Di quest’opera si riconosce l’artigiano.
Che sia di miniera o di fabbrica, l’Onesto Operaio, questa pecora, ha causato la rogna al gregge.
Un ideale di contropadrone perverte gli istinti del popolo. Il vestito buono della domenica, parlare da politico, votare — è l’aspirazione che sostituisce tutto. L’odioso lavoro quotidiano non risveglia né odio né rancori. Il grande partito dei lavoratori disprezza il fannullone che guadagna male il denaro concesso dal padrone.
Ci si dedica con passione al lavoro.
Si è fieri delle proprie mani callose.
Per quanto le dita siano deformate, il giogo ha fatto di peggio sulle teste: sul cuoio capelluto, con lo strofinio della bardatura, si sono ingrossati i bernoccoli della rassegnazione, della viltà, del rispetto. I vecchi operai vanitosi brandiscono i propri certificati: quarant’anni nella stessa ditta! Li si sente raccontare questo mentre elemosinano pane nei cortili.
— Abbiate pietà, signori e signore, di un vecchio invalido, un bravo operaio, un buon patriota, un vecchio sottufficiale che ha combattuto durante la guerra — Abbiate pietà, signori e signore.
Fa freddo; le finestre restano chiuse. Il vecchio non capisce…
Istruire il popolo! C’è bisogno d’altro? La sua miseria non gli ha insegnato proprio niente. Finché ci saranno ricchi e poveri, questi ultimi si aggiogheranno essi stessi al servizio ordinato. La colonna vertebrale dei lavoratori è abituata alla bardatura. Nel periodo della giovinezza e della forza, sono solo i domestici a non protestare.
L’onore speciale del proletario consiste nell’accettare in blocco tutte le menzogne nel nome delle quali lo si condanna ai lavori forzati: dovere, patria, e così via. E lui accetta, sperando in tal modo di elevarsi fino alla classe borghese. La vittima si fa complice. Lo sventurato parla di bandiera, si batte il petto, si toglie il berretto e sputa in aria:
— Sono un onesto operaio.
Lo sputo gli ricade sempre sul naso.
[stralcio da La Feuille, n. 24 del 15 febbraio 1899. Tr. it. su Machete n. 1, gennaio 2008 ]
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The Honest Worker
It’s the amazing fattening of the mass of the exploited that creates the increasing and logical ambition of the exploiters. The kings of the mines, of the coalfields, and of gold would be wrong to worry. Their serfs’ resignation consecrates their authority. They no longer needs to claim that their power is be based on divine right, that decorative joke: their sovereignty is legitimated by popular consent. A workers’ plebiscite, consisting of patriotic adherence, declamatory platitudes or silent acquiescence assures the boss’s hold and the bourgeoisie’s reign.
In this work we can recognize the artisan.
Be it in the mine or the factory, the Honest Worker, that sheep, has given the herd the mange.
The ideal of the supervisor has perverted the instincts of the people. A sports coat on Sunday, talking politics, voting…these are the hopes that take the place of everything. Odious daily labor awakens neither hatred nor rancor. The great party of the workers hates the lazybones who badly earns the money granted him by the boss.
Their heart belongs to their job.
They’re proud of their calloused hands.
However deformed the fingers, the yoke has done worse to the brain: the bumps of resignation, of cowardice, of respect have grown under the leather with the rubbing of the harness. Vain old workers wave their certificates: forty years in the same place! We hear them telling about this as they beg for bread in the courtyards.
“Have pity, ladies and gentlemen, on a sick old man, a brave worker, a good Frenchman, a former non-commissioned officer who fought in the war…Have pity, ladies and gentlemen.
It is cold: the windows remain closed. The old man doesn’t understand.
Teach the people! What else is needed? His poverty has taught him nothing. As long as there are rich and poor the latter will hitch themselves up so as to fill the service demanded. The worker’s neck is used to the harness. When still young and strong they are the only domestic beasts to not run wild in their shafts.
The proletarian’s special honor consists in accepting all those lies in whose name he is condemned to forced labor: duty, fatherland, etc. He accepts, hoping that by doing this he will raise himself into the bourgeois class. The victim makes himself an accomplice. The unfortunate talks of the flag, beats his chest, take of his cap and spits in the air:
“I’m an honest worker.”
And it falls right back onto his face.
Zo D’axa.
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O Trabalhador Honesto
Zo d’Axa (1898)
É incrível, como é o grosso da massa dos explorados que gera a ambição lógica e crescente de seus exploradores.
Os reis das minas, dos campos de carvão, e de ouro estariam errados em se preocupar. A resignação de seus servos consagram sua autoridade. Eles não mais precisam clamar que seu poder é baseado no direito divino, aquela piada ilustrativa: sua riqueza é legitimada por consenso popular. Um plebiscito de trabalhadores, constituído por adesão patriótica, planitudes declamatórias ou aquiescência silenciosa assegura as posses do patrão e o reino da burguesia.
Nesta obra podemos reconhecer o artifício. Seja na mina ou na fábrica, o Trabalhador Honesto, aquela ovelha, tem dado seus filhos para a praga.
O ideal do supervisor perverteu os instintos das pessoas. Vestido informalmente num domingo de sol, falando de política, votando… estas são as esperanças que tomam espaço de tudo mais. O odioso trabalho diário se ergue sem raiva ou rancor. O grande partido dos trabalhadores odeia os preguiçosos que mal conseguem ganhar o dinheiro garantido a eles por seus seus patrões.
Seus corações pertencem aos seus trabalhos.
Eles têm orgulho de suas mãos calejadas.
No entanto, não importa o quão deformados ficaram os dedos, o jugo deformou as mentes ainda mais: os surtos de resignação, de covardia, de respeito têm crescido sob o couro com o qual lhes chicoteiam. Em vão, velhos trabalhadores vestem seus certificados: quarenta anos no mesmo lugar! Ouvimos eles falando sempre que imploram por pão nas esquinas e nas praças.
“Tenham piedade, senhoras e senhores, de um pobre velho doente, um trabalhador corajoso, um bom francês, um oficial aposentado sem pensão que lutou na guerra… tenham pena, senhoras e senhores.”
Está frio: portas e janelas permanecem fechadas. O velho não compreende.
Mostre as pessoas! O que mais é necessário? Sua pobreza não lhe ensinou nada. Desde que haja os ricos e os pobres, estes últimos irão se dobrar o máximo para suprir todos os serviços demandados. É o pescoço do trabalhador que é usado como escudo. Quando ainda jovens e fortes eles são apenas animais domésticos para não correrem selvagens para fora dos eixos.
A honra especial do proletário consiste em aceitar todas aquelas mentiras em nome das quais é condenado ao trabalho forçado: dever, pátria, etc. Ele aceita, esperando que, ao se submeter, poderá ascender à classe burguesa. A vítima faz de si própria um cúmplice. O desafortunado fala da bandeira, bate em seu peito, tira seu chapéu e cospe no ar:
“Sou um trabalhador honesto.”
E o cuspe volta direto para sua cara.
O texto abaixo foi publicado na revista La Feuille, número 24, no ano de 1898.