Nota Bene : Yannick Blanc est également le maitre d’œuvre de Pièces et Main d’œuvre (PMO).
Les éditions L’Echappée ont eu la bonne idée de rééditer le livre de Y. Blanc, « Les Esperados, une histoire des années 70 ». Non pas que ce livre soit intéressant à lire, c’est tout le contraire même, une grosse merde, pire, une franche saloperie. Mais c’est le seul qui existe sur ceux que les journalistes appelleront « les tueurs fous de l’Ardèche » ; et en le lisant avec attention, entre les lignes, on peut avoir une vague idée de ces années 70.
En 77, Conty et deux autres personnes, membres d’une communauté ardéchoise, braquent le Crédit agricole de Villefort (Lozère), l’affaire tourne au désastre et se termine par la mort de trois personnes, dont un gendarme. Conty disparaîtra définitivement dans la nature, ses deux amis finiront en prison. Y. Blanc, ex-mao de Grenoble, journaliste à « Libération » puis à « Actuel », sort son livre vers 84. On n’y trouve aucune analyse, aucune réflexion, rien qu’une sorte de docu-fiction avec reconstitution de situations, reconstitution de dialogues, et pour le même prix on a même droit aux réflexions intérieures des divers protagonistes. Comme si on y était ! Mais comme on n’y est pas, on doit le croire sur parole. Il insiste à plusieurs reprises sur le fait que son livre est l’aboutissement d’un an d’enquête et de 150 interviews. A juste titre, car sinon on pourrait se demander s’il n’a pas tout inventé. « On est con quand on est jeune. On croit à la fidélité et à toutes ces conneries. Il rit et baisse la voix à cause de Maïté. Maintenant, quand j’ai une occasion, j’y vais. » Est-ce que Conty a raconté ces beaufitudes ? Possible. Tout y est, comme au cinéma, « il baisse la voix ». Mais qui a raconté cette histoire à notre valeureux journaliste ? Conty n’avait pas que des amis, y compris dans la communauté, et certains, très mal traités, avaient enfin l’occasion de régler quelques comptes. En tout cas, ce livre n’est qu’une accumulation de détails invérifiables.
Aucune sympathie pour ceux qu’il appellera, dans la postface, ses « personnages de papier ». Blanc crache son venin sur tout et sur tous, dénigre tous et toutes, ne voit toujours que le côté le plus noir. Et bien sûr, fait porter à Conty un sombrero copieux. Il s’appesantit surtout sur les histoires d’argent, sur ceux qui arrivent dans la communauté avec quelques biens et se retrouvent au final virés et dépouillés. C’est un problème qu’on retrouve ailleurs, dans de nombreuses entreprises collectives. Ceux qui ont participé à un projet collectif, récupèrent-ils leurs billes quand ils s’en retirent. Et du projet collectif, qu’en est-il ? Même dans des entreprises collectives moins « brutales » (l’expression est de Y. Blanc) que Rochebesse, la réponse n’est pas aussi simple, aussi évidente. Quant à Christian qui déclare : « De toute façon Marx j’en ai rien à foutre ! La ferme passe avant la révolution », Conty y avait répondu par avance en disant à un ami qui lui demandait si ça allait : « Ça va. Y a du boulot. C’est pas ça qui m’fait peur, mais la révolution… J’crois qu’y a encore un bon bout de chemin… La communauté, c’est une étape pour apprendre à vivre autrement. »
Très logiquement, le seul qui trouve grâce aux yeux de Blanc c’est le capitaine Barril, chef du GIGN et ami d’enfance de Conty. « Il commandait alors une unité d’élite, l’équivalent chez les gendarmes de la brigade antigang. En plus sportif (…), et en plus chevaleresque. » On parle généralement de journalistes-flics, mais au fin fond de l’Ardèche prospère le journaliste des champs, le journaliste-gendarme. Ce livre est un travail policier, une commande. Blanc, ex-mao, ex-membre des Comités Malville, est en phase de reconversion professionnelle. Il montre son savoir faire. La raison d’être de ce livre est évidente, en finir avec les désirs et les rêves d’une époque. « Les Esperados ne faisait pourtant que le récit d’un désastre local, mais exemplaire du désastre général du soixante-huitisme. » Mais on peut aussi le lire comme une autobiographie à peine voilée : « Car il faut bien l’admettre : nous sommes tous pourris jusqu’à l’os. » Parle pour toi, Blanc, parle pour toi.
Mais derrière les mensonges et les falsifications, la psychologie à cent balles, le fait divers qui obscurcit tout, l’incapacité totale de Y. Blanc à comprendre son époque, on entrevoit vaguement ce que furent ces années 70. Une génération qui décide de réaliser le programme surréaliste « Changer la vie, changer le monde. » Pas des artistes carriéristes, pas des intellectuels professionnels mais de jeunes ouvriers qui ne veulent plus travailler, de jeunes étudiants qui ne veulent plus étudier. La liberté sexuelle vue comme critique de la famille, critique de l’enfermement dans le couple, critique de la société. Le refus du travail comme refus de ce qu’il permet d’acheter, refus et critique de la marchandise, son complet non respect. Dans la pire confusion et dans l’idéologie, quelque chose s’est cherché, mais s’est perdu aussi. Ce livre donne de nombreux exemples de cette confusion, jusqu’à cette équipée sauvage vers le néant, mais peut-être que l’essentiel n’est pas là où Y. Blanc voudrait à tout prix nous amener – un désastre exemplaire du désastre général de 68 – mais plutôt à chercher chez l’auteur du livre, qui veut bien nous faire la leçon mais s’oublie au passage : son arrivisme forcené, sa bêtise foncière, son idéologie maoïste moyenâgeuse, ces luttes de pouvoir au couteau qu’il a dû connaître de près dans ses organisations maoïstes et à « Libération ».
A la sortie du livre, une amie me disait que Conty s’était mangé toutes les idéologies de l’époque : un peu de guévaro-trotskysme avec un doigt de marxisme-léninisme à la sauce antillaise, le retour à la terre et la vie en communauté, l’apologie de la reprise individuelle, la lutte armée et le fantasme d’un foyer de guérilla en Haute Ardèche. On échappe difficilement à son époque et à ce qu’elle véhicule d’illusions ; et les années 70 en furent particulièrement fertiles. Mais en rester là serait injuste. Dans cette aventure, il n’y avait pas qu’un fatras d’illusions et de fantasmes, une course à vive allure vers le néant, on y trouvera aussi, un mouvement réel pour changer les conditions existantes. Au sortir du CET, avec son CAP d’ajusteur en poche, l’avenir de Conty est tout tracé, il sera de la chair à plus-value. « Jamais je ne travaillerai dans la société. » Même si cette déclaration toute rimbaldienne est inventée, elle donne le sens de ce qui va suivre. Blanc se moque : « Mai 68 avait mis les ouvriers à la mode (…) A partir de Mai 68 Conty se présentera comme un “ancien de Neyric” (…) il était prolétaire. ».Blanc est incapable de comprendre que Conty était bel et bien un ancien de Neyric – une usine près de Grenoble – même si il n’y a jamais bossé, car son avenir programmé était là. C’était un prolétaire, c’est-à-dire quelqu’un qui refuse le salariat.
Plus fort que sa volonté de dénigrer, ce qui frappe chez Y. Blanc, c’est son incapacité à comprendre. Revenant, à la fin du livre sur « ce hold-up sans mobile », il s’étonne et s’indigne, « ils ne font pas ce hold-up pour de l’argent (…) Ils ne sont que des ratés (…) Ils commettent ce hold-up pour qu’il se passe quelque chose dans leur vie. » Le vol n’est pas un besoin, le besoin brut, animal ; c’est un acte social, humain. Seul un curé ou un gauchiste peuvent penser justifier le vol par la nécessité. Le vol est d’abord un jeu, un plaisir, qui peut aussi bien aller jusqu’au délire que tourner à l’aigre (la compétition). Le vol n’est pas un absolu, la solution enfin trouvée ; pourtant, aussi insatisfaisant qu’il puisse être, il va se vivre comme pratique, manifestation de soi. De cette pratique on en vérifie assez vite les limites : la kleptomanie (le chant de la marchandise), un plaisir solitaire, un travail. Le vol est comme l’ombre de l’achat, son complément nécessaire. Supprimez la marchandise et disparaît aussi le vol, finalement un jeu pas si amusant. Du moins restera de son livre cette belle image, « Rochebesse, île de la Tortue avec un équipage variant entre dix et trente mutins qui sillonnaient des Cévennes à la vallée du Rhône, à bord d’une flotte de 2CV. »
Une fois n’est pas coutume, plutôt qu’une postface de l’auteur, 80 pages à « saouler l’assistance de (son) épouvantable radotage », ce livre aurait nécessité un texte de présentation. Du moins pouvons-nous trouver quelques indications sur le parcours de Y. Blanc dans une brochure de Pièces et Main d’œuvre, « Mémento Malville » : « L’ambition journalistique de Yannick (Blanc), le principal animateur du “Casse Noix”, trouva un médiocre débouché dans quelques piges à “Libération” Rhône-Alpes, puis dans ses reportages d’“Actuel” (…) De ses trois livres publiés, l’un, “Les Esperados”, est un si noir récit de “l’affaire des tueurs fous de l’Ardèche” désastreuse équipée d’une communauté rurale, qu’il faut bien y voir du mauvais esprit. Au reste, une mesure de la prétention du personnage, réside dans la signature systématique de ses moindres griffonnages, lorsque l’anonymat constituait la règle de la “contre presse” ».
Extrait de Correspondance n°2, mars 2012.
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