Originalement publié dans le numéro du 4 octobre 1884 du journal anarchiste Alarm, ce texte fut distribué sous forme de tract par l’International Working People’s Association, organisation anarchiste dont le but était de reprendre là ou la première AIT (1864-1877) s’était arrêtée, et à laquelle appartenaient Albert Parsons (compagnon de Lucy), August Spies, et d’autres anarchistes emprisonnés et exécutés à la suite de la tentative insurrectionnelle de Haymarket à Chicago en 1886.
D’origine afro-américaine, mexicaine et indienne Creek, Lucy nait en 1853 et grandit dans un ranch au Texas où elle est esclave, elle participera toute sa vie au combat anarchiste, jusqu’à sa mort dans l’incendie de sa maison à Chicago le 7 mars 1942.
Aux trente-cinq milliers de personnes qui errent en ce moment même dans les rues de cette grande ville, les mains dans les poches, contemplant l’étalage de la richesse et du plaisir avec la résignation de ceux qui n’y prennent aucune part, à ceux n’ayant pas même assez pour se procurer de quoi apaiser les affres de la faim qui leur tenaille les entrailles. C’est à vous, et aux centaines de milliers de personnes partageant la même situation dans ce grand pays d’abondance, que je souhaite adresser ces mots.
N’avez-vous pas bossé dur toute votre vie, depuis que vous fûtes en âge d’être utilisés dans la production de la richesse ? N’avez-vous pas trimé longuement, durement et laborieusement en produisant toutes ces richesses ? Et pendant toutes ces années de corvées, ne savez-vous pas que vous avez produit des milliers et milliers de dollars de richesses, dont vous n’avez possédé, ne possédez et, à moins que vous n’AGISSIEZ, ne posséderez jamais la moindre part ? Ne savez-vous pas, lorsque vous étiez attelé à la machine, cette machine attelée à la vapeur, alors que vous trimiez vos dix, douze ou seize heures par jour, que pendant tout le temps de toutes ces années, vous n’avez juste reçu du produit de votre travail que de quoi vous procurer la plus humble et grossière pitance nécessaire à votre survie ? Et que, lorsque vous avez voulu vous procurer quelque chose pour vous-même et vos familles, cela n’a jamais été que de la qualité la plus basse ? Que si vous vouliez vous rendre où que ce soit, vous deviez attendre jusqu’au dimanche, en ne gagnant si peu de votre travail implacable que vous n’osiez réellement vous arrêter un seul instant ? Et ne savez-vous pas que, malgré tous vos renoncements, vos privations, vos économies, il ne vous a pourtant jamais été permis de vous éloigner, ne serait-ce que quelques jours, des hurlements de la misère ? Et qu’au final, quand par caprice votre employeur a jugé profitable de prononcer l’artificielle pénurie en limitant la production, que les feux des fourneaux furent éteints, que le cheval de fer auquel vous fûtes attelés se reposa, que la porte de l’usine fut verrouillée, vous fûtes jetés sur la route comme des clochards, la faim à l’estomac et les haillons au dos ?
Mais, votre employeur vous a dit que c’était la surproduction qui l’avait contraint à fermer. Qui s’est soucié des larmes amères et de la peine affreuse de votre épouse aimante et de vos enfants désarmés, lorsque vous leur avez adressé un pathétique : « Dieu vous bénisse », avant de vous jeter sur la route des vagabonds, partant en quête d’un emploi, loin ailleurs ? Je vous le demande, qui s’est préoccupé de ces peines et souffrances ? Vous n’étiez désormais qu’un clochard, proie de l’opprobre et des dénonciations, “va-nu-pieds et vagabond” pour toute cette classe même qui précisément s’était employée toutes ces années durant, à vous voler, vous et les vôtres. Alors, ne voyez-vous pas enfin que “bon patron” et “mauvais patron” ne signifient rien ? Que vous n’êtes que leur proie commune, et que leur tâche ne consiste purement et simplement qu’à vous voler ? Ne voyez-vous donc pas que c’est le SYSTEME INDUSTRIEL lui-même, et non le “patron” qui doit être changé ?
Maintenant que toutes ces belles journées d’été et d’automne sont passées, que vous n’avez toujours pas d’emploi, et donc rien mis de côté ; maintenant que l’hiver souffle du nord et que toute la terre est ensevelie d’un linceul de glace ; n’écoutez pas la voix de l’hypocrite qui vous dira qu’il a été ordonné par Dieu qu’il “y aura toujours des pauvres au milieu de vous“, ou à l’arrogant voleur qui vous dira que “si vous n’avez rien maintenant, c’est que vous vous êtes saoulés avec vos payes l’été dernier quand vous aviez du travail”, que “le foyer ou le chantier est trop bon pour vous“, que “vous devriez être fusillé“. Et vous tirer dessus, ils le feront si vous vous plaignez avec trop de bruit. Alors non, ne les écoutez pas eux, mais écoutez ! L’hiver prochain, quand le vent glacial se glissera à travers les déchirures de vos haillons miteux, quand le givre vous mordra les pieds à travers les trous de vos souliers usés, quand tous les malheurs sembleront s’acharner sur vous et en vous, quand la misère vous aura marqués à jamais, que votre vie sera devenue un fardeau et l’existence une sinistre farce, lorsque vous aurez marché dans les rues jour après jour et dormi chaque nuit sur le dur, et que vous serez finalement déterminés à vous ôter la vie de vos propres mains – préférant rejoindre le néant que de supporter plus longtemps le fardeau d’une telle existence – si jamais vous vous résignez à vous jeter vous-même dans l’étreinte glaciale d’un lac plutôt que de souffrir plus longtemps : arrêtez-vous, avant de commettre le dernier acte tragique du drame de votre pauvre existence. Stop ! N’y a-t-il rien que vous puissiez faire pour préservez d’un tel sort ceux que vous vous apprêtez à rendre orphelins ? Les vagues ne vous frapperont que pour railler votre acte absurde ; mais promenez-vous dans les avenues des riches et regardez par les somptueuses fenêtres l’intérieur de leurs demeures voluptueuses, et vous y découvrirez très précisément les voleurs qui vous ont dépouillés, vous et les vôtres. Alors, traduisez votre tragédie en actes, sur le champ ! Réveillez-les de leur gaieté de vivre, à vos frais ! Envoyez-leur votre pétition et laissez-leur la lire à la rouge lumière de la destruction. Ainsi, lorsque vous lancerez “un dernier regard en arrière”, vous pourrez être assuré que vous aurez parlé à ces voleurs le seul langage qu’ils aient jamais été capables de comprendre, car ils n’ont jamais daigné remarquer aucune pétition signée par leurs esclaves tant qu’ils n’ont été obligés de les lire à la lumière rouge du canon, ou tant qu’elles ne leur ont été tendues jusqu’à eux à la pointe de l’épée. Vous n’aurez besoin d’aucune organisation lorsque vous vous déciderez à présenter ce genre de pétition. En fait, une organisation serait un préjudice pour vous ; car chacun d’entre vous, vagabonds affamés qui lisez ces lignes, pouvez faire vôtres ces petites méthodes artisanales de guerre que la Science a mis entre les mains des pauvres gens, et vous reprendrez alors le pouvoir, ici ou dans tout autre pays.
Apprenez l’usage des explosifs ! Brochure éditée par Ravage Editions.
To tramps, the unemployed, the disinherited, and miserable
A word to the 35,000 now tramping the streets of this great city, with hands in pockets, gazing listlessly about you at the evidence of wealth and pleasure of which you own no part, not sufficient even to purchase yourself a bit of food with which to appease the pangs of hunger now knawing at your vitals. It is with you and the hundreds of thousands of others similarly situated in this great land of plenty, that I wish to have a word.
Have you not worked hard all your life, since you were old enough for your labor to be of use in the production of wealth? Have you not toiled long, hard and laboriously in producing wealth? And in all those years of drudgery do you not know you have produced thousand upon thousands of dollars’ worth of wealth, which you did not then, do not now, and unless you ACT, never will, own any part in? Do you not know that when you were harnessed to a machine and that machine harnessed to steam, and thus you toiled your 10, 12 and 16 hours in the 24, that during this time in all these years you received only enough of your labor product to furnish yourself the bare, coarse necessaries of life, and that when you wished to purchase anything for yourself and family it always had to be of the cheapest quality? If you wanted to go anywhere you had to wait until Sunday, so little did you receive for your unremitting toil that you dare not stop for a moment, as it were? And do you not know that with all your squeezing, pinching and economizing you never were enabled to keep but a few days ahead of the wolves of want? And that at last when the caprice of your employer saw fit to create an artificial famine by limiting production, that the fires in the furnace were extinguished, the iron horse to which you had been harnessed was stilled; the factory door locked up, you turned upon the highway a tramp, with hunger in your stomach and rags upon your back?
Yet your employer told you that it was overproduction which made him close up. Who cared for the bitter tears and heart-pangs of your loving wife and helpless children, when you bid them a loving “God bless you” and turned upon the tramper’s road to seek employment elsewhere? I say, who cared for those heartaches and pains? You were only a tramp now, to be execrated and denounced as a “worthless tramp and a vagrant” by that very class who had been engaged all those years in robbing you and yours. Then can you not see that the “good boss” or the “bad boss” cuts no figure whatever? that you are the common prey of both, and that their mission is simply robbery? Can you not see that it is the INDUSTRIAL SYSTEM and not the “boss” which must be changed?
Now, when all these bright summer and autumn days are going by and you have no employment, and consequently can save up nothing, and when the winter’s blast sweeps down from the north and all the earth is wrapped in a shroud of ice, hearken not to the voice of the hyprocrite who will tell you that it was ordained of God that “the poor ye have always”; or to the arrogant robber who will say to you that you “drank up all your wages last summer when you had work, and that is the reason why you have nothing now, and the workhouse or the workyard is too good for you; that you ought to be shot.” And shoot you they will if you present your petitions in too emphatic a manner. So hearken not to them, but list! Next winter when the cold blasts are creeping through the rents in your seedy garments, when the frost is biting your feet through the holes in your worn-out shoes, and when all wretchedness seems to have centered in and upon you, when misery has marked you for her own and life has become a burden and existence a mockery, when you have walked the streets by day and slept upon hard boards by night, and at last determine by your own hand to take your life, — for you would rather go out into utter nothingness than to longer endure an existence which has become such a burden — so, perchance, you determine to dash yourself into the cold embrace of the lake rather than longer suffer thus. But halt, before you commit this last tragic act in the drama of your simple existence. Stop! Is there nothing you can do to insure those whom you are about to orphan, against a like fate? The waves will only dash over you in mockery of your rash act; but stroll you down the avenues of the rich and look through the magnificent plate windows into their voluptuous homes, and here you will discover the very identical robbers who have despoiled you and yours. Then let your tragedy be enacted here! Awaken them from their wanton sport at your expense! Send forth your petition and let them read it by the red glare of destruction. Thus when you cast “one long lingering look behind” you can be assured that you have spoken to these robbers in the only language which they have ever been able to understand, for they have never yet deigned to notice any petition from their slaves that they were not compelled to read by the red glare bursting from the cannon’s mouths, or that was not handed to them upon the point of the sword. You need no organization when you make up your mind to present this kind of petition. In fact, an organization would be a detriment to you; but each of you hungry tramps who read these lines, avail yourselves of those little methods of warfare which Science has placed in the hands of the poor man, and you will become a power in this or any other land.
Learn the use of explosives!
Dedicated to the tramps by Lucy E. Parsons.
http://www.non-fides.fr/?To-Tramps-The-Unemployed-the