Rompre tout à coup avec les idées reçues de l’humanité. Ne pas être l’opportuniste qui les suit, ni l’idéaliste qui bâtit dans l’île de Salente ou dans le pays de l’utopie ; vouloir se vivre et avoir l’orgueil de vouloir se vivre, non dans des caprices de fou névrosés, mais en se mettant d’accord avec les connaissances scientifiques actuelles, la meilleure hygiène, la meilleur économie, cela peut paraître encore une œuvre prématurée.
C’est ce que nous pensons.
De tout côté, à tout moment, dans le milieu révolutionnaire », on entend ces mots : »je suis bien libre. » Libre de vider force verres d’absinthe ou d’alcool, libre de violenter son prochain, libre de travailler dix ou douze heures ou d’abrutir son esprit ; libre d’être fainéant, d’être gendarme ou d’être rentier si on a la puissance ?
Il s’agit de savoir si cette liberté et cette puissance correspondent avec le plus grand développement de l’individualité humaine.
Nous voulons pas diminuer la liberté de l’individu puisque nous travaillons au contraire à augmenter sa faculté de puissance, mais nous voulons qu’à tout moment l’homme soit maître de lui, soit de force à envisager la minute présente et les minutes à venir.
Nous considérons que l’homme se considère comme une machine dont il doit retirer le maximum de travail, c’est-à-dire de jouissance. Qu’on le sache bien, le mécanicien qui brûle sa chaudière pour arriver à l’étape fait son dernier voyage.
Que les hommes aient la liberté de tout faire mais qu’ils sachent où les conduit chaque liberté et que seulement après avoir pesé le pour et le contre, ils se décident à agir.
Traçons dans notre cerveau, en lignes assez précise, non définitives pourtant, le croquis de l’existence que nous voulons vivre et entrons en lutte immédiate avec les forces adverses.
Disons-nous bien que détruire la Bastille est œuvre médiocre, si l’on conserve en soi l’idée de vindicte qui la fera reconstruire, style moderne pourtant ; que l’autorité qui émane d’un seul n’est pas plus dangereuse que celle qui émane d’une aristocratie ou d’une démocratie. Le tsarisme ou la république sont pour nous des gouvernements équivalents. La liberté d’un peuple est l’échelle qui montre la mentalité des individus qui le composent et non pas la forme de l’Etat.
Le lutte que nous entreprenons est une lutte contre les individus, ce n’est pas contre le gouvernement ou les élus que nous luttons, c’est puéril, c’est contre les électeurs ; ainsi procéderons-nous dans tout ordre d’idée.
Oui, c’est contre le mouton, le mouton de Panurge, que nous nous tournons, contre l’homme qui vote, qui se syndique, qui se marie ; dont tous les pas, tous les gestes sont tracés, non par son expérience, ni même celle de ses amis ou d’individus ayant intérêts parallèles, mais par l’autorité religieuse, patronale, syndicale, gouvernementale, c’est-à-dire par la synthèse de leur ignorance particulière.
Nous sommes anarchistes, c’est-à-dire contre tout autorité subjective d’où qu’elle vienne, et nous ne supportons l’autorité objective qu’à notre corps défendant.
L’idée de Dieu, d’honneur, de patrie, les lois, les règlements sont des autorités subjectives, c’est l’ignorance, en leur portant la force des peuples qui les rend objectives, c’est contre elle que nous lutterons.
Aujourd’hui est non demain, à la minute présente, se forme un monde anarchiste, composé d’individus qui n’obéissent qu’à la force objective.
On a laissé courir ce lieu commun : « Il n’y a que les anarchistes qui sont morts pour la cause qui l’étaient véritablement. » Il y a ceux qui vivent, ceux qui veulent vivre encore et plus, en lutte pour le plus grand développement de leur individualité.
Les réformistes, les socialistes, les révolutionnaires avant tout, les opportunistes, les idéalistes, les briseurs de mur à coups e tête, n’aurons pas place ici.
Cette feuille désire être la point e contact entre ceux qui, à travers le monde, vivent en anarchistes, sous la seule autorité de l’expérience et du libre examen.
Albert Libertad, in L’anarchie. 13 avril 1905