Communiqué des amis de Philippe Lalouel après le verdict

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 Le 1er février 2014

C’est avec une tristesse profonde et une rage indicible que nous, amis de Philippe Lalouel, nous adressons à vous pour la dernière fois.

Ce que nous annoncions sans illusion s’est réalisé sous nos yeux : une exécution publique.

Après 1h30 de délibéré seulement, les jurés sont revenus la tête haute, toute honte bue, et le verdict est tombé comme tombe le couperet d’une guillotine : dix-sept ans.

Ces dix-sept ans s’ajoutent aux six qu’il lui reste à endurer. Sa date de sortie : 2037, à 73 ans.

Nous espérons que le fantôme de cet homme viendra hanter leurs nuits pendant les vingt-trois prochaines années.

Le mépris de la cour a été jusqu’à prononcer cette sentence alors même que la quarantaine d’amis de Philippe n’étaient pas encore rentrés dans la salle. Les policiers chargés des contrôles et des fouilles faisaient preuve d’une lenteur calculée et d’une agressivité sans borne. Une rangée de flics haineux nous séparaient de notre ami et nous ont évacués sans ménagement, sans même nous laisser lui dire adieu.

Là encore c’est Philippe qui nous a donné à tous et toutes une leçon de vie. Nous étions privés de mots par l’horreur, effondrés de douleur et de rage ; et c’est lui qui nous a réconfortés : « Merci d’être là. Lâchez rien. Ce soir, restez ensemble, mangez ensemble. Vous en faites pas pour moi. »

Nous, amis de Philippe Lalouel, avions tenté de faire franchir aux jurés, à la cour, au public de Montauban, la barrière qui les sépare de ce que la justice nomme un « criminel ».

Cette démarche, présentée par la juge comme une tentative d’exercer une pression sur les jurés, a en réalité changé la teneur du procès, en obligeant la cour à laisser la place à Philippe et à ses témoins. Ils ont tenté ensemble de faire comprendre ce qu’est un homme après vingt-trois ans de prison, dont onze à l’isolement ; le sort des malades à l’intérieur (qui explique les évasions de Philippe, lesquelles remontent à vingt ans) ; les conditions réelles de sa libération conditionnelle de 2009, un « cadeau empoisonné » ; en fait, en faisant exister quelqu’un qu’on avait voulu « éliminer ».

L’année dernière, la cour d’assises avait « éliminé » un prisonnier anonyme. Cette année, les jurés ont exécuté, en toute conscience et connaissance de cause, un homme fier et digne.

Philippe, déjà condamné par la maladie, a survécu à une peine plus longue qu’une perpétuité réelle (vingt-deux ans) ; il en entame une deuxième à présent, aussi abominable et absurde que cela puisse paraître.

Pendant les deux jours du procès, il est resté toujours digne, en réclamant seulement de pouvoir être proche de « la femme qu’il aime et qui l’aime », de pouvoir « vivre dans notre monde », de pouvoir enfin « aspirer la liberté ».

Lorsque le verdict est tombé, il est encore resté debout, inébranlable dans sa force de vie : « Nous, les grosses peines, on nous enferme jusqu’à la mort ! Mais on va entendre parler de moi ! Lâchez rien ! Moi, qu’est ce que j’ai, qu’est ce qu’il me reste ? C’est la guerre, je vous la déclare ! Les portes, elles vont pas exploser, elles vont aller jusqu’en Colombie ! Faudra pas s’étonner si on me revoit en assises. Nous, les grosses peines, dans les centrales, on va se réunir, vous allez voir ! »

Cela nous a rappelé les paroles de Christophe Khider, qui, alors qu’il venait lui aussi d’être condamné à vie pour une évasion, a comme Philippe d’abord pensé à ses camarades de souffrance, lors du rendu de son procès du printemps 2013 : « Je vais dire aux gens qui m’aiment de m’oublier. Je vais briser ce qu’il reste de plus beau en moi, et devenir ce que vous avez voulu faire de moi : un monstre. »

La condition des longues peines en France n’est pas qu’une honte, c’est aussi une bombe à retardement. Ces hommes et ces femmes n’ont plus rien à perdre, on leur a tout enlevé, on les a « éliminés de la vie sociale », pour reprendre les termes de l’avocat général Sylvestre, c’est-à-dire qu’ils « n’existent plus pour notre monde », pour reprendre ceux de l’avocate Delphine Boesel.

Nous partageons avec Philippe cette solidarité pour ces hommes et ces femmes qui meurent de solitude dans les maisons centrales, à l’abri de nos regards.

L’avocat général Sylvestre, cet homme vil et haineux à l’idéologie réactionnaire, s’est contenté paresseusement de relire avec morgue son réquisitoire de l’année dernière, prétendant protéger une société dans laquelle personne ne souhaiterait vivre.

La juge Chassagne, qui la veille avait condamné un homme en détresse, Saïd Ouhab, à douze ans de réclusion, et qui aura distribué plus d’un siècle de prison pendant les dix jours de sa session d’assises, a évidemment manipulé le jury populaire, les enjoignant à ne pas se laisser impressionner par l’homme, et en leur rappelant la Loi, qui par nature n’a aucune considération pour les trajectoires humaines, cette Loi qui tue les petits voleurs et laisse courir les financiers véreux, cette Loi qui protège l’argent des banques derrière la sempiternelle souffrance des victimes dont elle n’a cure.

Nous avons tenté de faire comprendre poliment qu’une telle exécution était inacceptable. Nous n’avons reçu que mépris et insultes. Nous avons compris la leçon, et à présent que Philippe est en guerre, nous sommes à ses cotés.

Sa compagne, Monique, n’a pas même accordé ses larmes au jury assassin, faisant preuve d’une dignité et d’un courage admirables, alors même que son intimité était étalée au grand jour sans la moindre décence. Nous nous battrons ensemble, à présent, pour que Philippe effectue sa peine à la centrale de Lannemezan, et non pas à 800 km de chez elle.

L’avocate de Philippe, Delphine Boesel, d’une combativité et d’une retenue exemplaires pendant les débats, les a conclus avec une plaidoirie précise et bouleversante. Cette avocate n’est pas mue par l’appât du gain au contraire de ceux des parties civiles, mais par une réelle vocation : la défense des longues peines, condamnés à vie dans les « mouroirs de la république ».

Les jurés, la juge, ont quitté la salle sans un regard pour cet homme qu’ils ont abandonné, « eux pour vivre, lui pour mourir », comme l’a dit Me Boesel. Nous, nous ne l’abandonnons pas et continuerons de nous battre à ses cotés.

Philippe est plus vivant que jamais.

http://lenvolee.net/communique-des-amis-de-philippe-lalouel-apres-le-verdict/#more-1085

Contre « l’élimination sociale » de Philippe Lalouel à Montauban les 30 et 31 janvier

Publié le 5 janvier 2014par l’envolée

Depuis 1986 Philippe Lalouel a vécu en tout et pour tout 13 mois hors des murs… pour des vols.

Il sera à nouveau jugé par la cour d’appel de Montauban les 30 et 31 janvier 2014.

Philippe Lalouel est entré en prison en 1986. Il avait alors 20 ans. lors de son arrestation, il est blessé par la police, mené à l’hôpital, transfusé… avec du sang contaminé. Il prend huit ans et apprend en même temps qu’il est séropositif. Pour tenter de ne pas mourir du sida  en prison il tente de s’évader plusieurs fois et y parvient à deux reprises au début des années 1990. Pendant ces courtes cavales, il vole pour survivre en clandestinité. Pour ces faits commis sans violence, il écope au milieu des années 1990 de dizaines d’années de prison qui seront confusionées à… 25 ans.
En 2009, Philippe avait donc purgé plus de 22 ans de prison -dont 10 à l’isolement- quand il « bénéficie » d’une sortie sous le régime de la liberté conditionnelle. Sans préparation préalable, c’est ce que le jargon de l’AP nomme une « sortie sèche ». Sans aucun suivi, aucune aide, il est astreint à résidence dans un village de Haute-Garonne où il ne connaît personne. Son patron, qui touche de l’argent de l’Etat pour cette « réinsertion », le paye une misère et Philippe est logé dans des conditions qui lui rappellent sa cellule. Il est isolé, sans le sou, loin des quelques proches qui lui reste, inadapté à un monde qu’il ne connaît plus. Après quatre mois de cette vie qu’il décrit tous les jours dans un journal pour ne pas craquer ou devenir fou, il finit par aller voler de l’argent dans des agences postales de la région. Un arme non chargée, pas de violence, des sommes dérisoires…mais il est vite arrêté. Beaucoup de prisonniers -longue peine ou pas-, se suicident dans la situation de Philippe. Lui a volé.

Pour ces faits, en décembre 2012, la cour d’assises de Toulouse lui administre une « peine d’élimination sociale » selon les mots du procureur : 20 ans. Cette peine il ne commencera à la faire qu’en 2019, lorsqu’il aura purgé le reliquat de sa peine précédente (puisqu’il était en conditionnelle et que cette conditionnelle s’est trouvée révoquée par le fait que Philippe ait commis des délits)… absurdité de l’arithmétique pénale.

2039, c’est la date actuelle de sa fin de peine…

Philippe est aujourd’hui âgé de 46 ans. Il se bat depuis 26 ans contre le VIH. La santé en prison n’est qu’une chimère.

Le condamner à 20 ans, c’est en réalité le condamner à mort. Nous ne pouvons accepter que le justice condamne un homme à mort pour des vols…

Au nom de la « récidive », toujours : il a fauté plusieurs fois, cela ferait de lui un « braqueur récidiviste »…

Non, Philippe est avant tout un homme malade qui a toujours refusé de se laisser mourir entre quatre murs. Pour cette seule envie de vivre et de liberté, la justice, et elle seule, a créé un « récidiviste ». Et la prison a aujourd’hui pour tâche d’éliminer ce « récidiviste ».

https://www.facebook.com/pages/Soutienlalouel/328914967247966

L’Envolée a suivi le premier procès de Philippe en décembre 2012. Vous pouvez en lire le compte rendu ci-dessous. Depuis le premier procès Philippe a écrit souvent au journal.

Nous suivrons à nouveau le procès en appel de Philippe qui se tiendra les 30 et 31 janvier 2014  aux assises de Montauban.

 

Compte rendu du procès de Philippe Lalouel en première instance à la cour d’assises de Toulouse les 3 et 4 décembre 2012. 

paru dans le numéro 34 du journal L’Envolée (téléchargeable sur le site)

 

Lundi 3 décembre s’est ouvert aux assises de Toulouse le procès de Philippe Lalouel et Michel G. Ils ont braqué trois bureaux de poste entre le 27 février et le 23 avril 2010, date de leur arrestation. Philippe Lalouel est un prisonnier longue peine : vingt- trois ans de prison, dont onze à l’isolement. Une maladie incurable le pousse à se faire la belle plusieurs fois dans les années 1990 pour ne pas crever entre quatre murs. Fin 2009, il obtient enfin une libération conditionnelle de dix ans. Il passe quelques mois dehors, qu’il décrit ainsi : « je n’ai eu aucun suivi durant ma conditionnelle, j’étais dans un bateau sans maître à bord. » Philippe se retrouve dans un bled paumé de Haute-Garonne, logé dans une cave par un exploiteur qui s’engraisse sur les sortants de prison, avec interdiction de se rendre dans les départements où se trouvent ses proches : « Je suis à pied, je suis sorti de prison en survet’, le patron ne me paie pas. » Il est seul, il déprime, il confie à son frère : « J’étais mieux en prison qu’à Salies-du-Salat ». Il tente de contacter la JAP pour que sa situation s’améliore : « J’avais plus de juge d’application des peines : elle était en longue maladie. J’ai informé mon Spip [service pénitentiaire d’insertion et de probation], rien n’avançait. J’ai demandé à me rapprocher de Saint-Gaudens, c’était plus grand, il y avait plus de lumières. » Il fait la connaissance de Michel au casino – le seul endroit où il peut se rendre sans voiture pour tenter de briser son isolement. Michel est lui aussi dans la merde. Après vingt-cinq ans comme chauffeur de bus, l’explosion de l’usine AZF de Toulouse l’a rendu inapte au travail et il a été licencié. Tombé accro au jeu, il a cramé toutes ses indemnités au casino, il doit beaucoup d’argent… Ensemble ils décident de braquer des agences postales. Philippe souhaite investir dans un garage et vivre enfin quelques années peinard. Puis il rencontre une femme avec laquelle il envisage de s’installer. Il est sur le point d’arrêter quand les flics lui tombent dessus.

Vingt et un chefs d’accusation qui vont du bris de porte à la détention d’arme, en passant par le vol de voiture. Les deux accusés assument ensemble ce qu’ils ont fait : ils ont volé de l’argent à trois banques – environ 20 000 euros chacun –, parce qu’ils en avaient besoin. Ils l’ont fait sans violence et sans préparation particulière, avec un revolver rouillé, pas chargé, et une matraque télescopique. Une histoire banale, sans autre victime que des compagnies d’assurance. Un gant perdu dans la fuite, un ADN, des écoutes, des filatures : Philippe et Michel se font arrêter juste après leur dernier braquage. La police les a laissé faire pour les prendre en flag. Lors de son audition, l’officier de police judiciaire admet lui-même qu’ils prennent garde à ne blesser personne et qu’on n’a pas affaire à des braqueurs professionnels : ils agissent dans un rayon de 20 kilomètres autour de leur domicile. Leur culpabilité ne fait pas débat. La cour et les 6 jurés n’ont donc qu’une seule mission : fournir un tarif, en administrant une peine. Cette fois-ci, la justice n’a pas à se présenter comme une machine à établir la vérité. Trois jours durant, elle peut ainsi offrir le spectacle de la machine à punir qu’elle est réellement. Il s’agit de rendre monstrueux des actes qui ne le sont pas, de les relier à la « structure psychique » des accusés, de transformer des guichetières en victimes traumatisées et de faire de deux hommes sans le sou des braqueurs : construire de la dangerosité pour alourdir la note.

L’Envolée a suivi ce procès avec quelques amis. On ne se faisait pas d’illusions : tous les jours, les tribunaux distribuent des peines infinies pour des faits similaires ; mais le déroulement implacable de cette élimination légale, la violence de cette mise à mort par le Droit nous ont pris aux tripes. Philippe se rendait là comme à l’abattoir. Au fur et à mesure du procès, il a pourtant tenté de se montrer tel qu’il est réellement. Nous avons vu un homme sincère, digne, courageux, meurtri par de longues années de prison, mais toujours debout. Nous l’avons vu taper de plus en plus fort dans le mur qui se dressait devant lui, en vain. Pour s’arracher aux sables mouvants de la mascarade judiciaire, il aurait eu besoin d’une défense qui affirme une plus grande conflictualité devant la cour et ouvre l’espace pour que sa vérité soit entendue : s’il a fait autant de prison, ce n’est pas parce qu’il a le braquage dans le sang. Il s’est évadé, plusieurs fois, et il a dû faire des braquages pour survivre en cavale. Quelques mois dehors pour vingt-trois ans de placard, toute une vie enfermé ; la maladie et l’isolement comme lot quotidien ; et puis la claque de la sortie, la solitude, privé de ceux qu’il aime, le désarroi face à un monde qu’il ne connaît plus, Monique qu’il rencontre trop tard ; et puis aujourd’hui, les sept ans de sa conditionnelle qu’il a encore à purger, avant même ce jugement ; sa crainte de mourir en prison, sa fille qui lui manque. Le procureur a demandé qu’on « l’élimine du monde social ». Le jury a suivi ses réquisitions. Vingt ans . Huit pour Michel. Philippe a fait appel. Le lendemain de sa condamnation, il a été placé au quartier d’isolement de la maison d’arrêt de Seysses. Au moment même où il se bat pour son transfert en centrale, voici le récit de sa mise à mort.

Mise à nu

En quelques minutes à peine, le président Costet pose son ambiance : il marmonne les textes de lois qui concernent les jurés pour montrer qu’il est seul maître à bord. Il rappelle surtout que Philippe a agi en état de récidive légale et encourt à ce titre deux fois vingt ans, ce qui équivaut selon lui à une réclusion criminelle à perpétuité. Michel, qui n’a jamais été condamné jusque-là, risque quant à lui vingt ans. Au pas de charge, il impose aux 6 jurés sa lecture du dossier – auquel eux- mêmes n’ont pas accès – et fige une bonne fois pour toutes les deux accusés dans les rôles qu’il leur a attribués : Michel est l’amateur, bon travailleur qui a vrillé, flambeur un peu idiot embarqué dans une sale affaire par un pro du braquage. Philippe, lui, est un voyou, un manipulateur, sa carrière carcérale en est la meilleure preuve. Histoire que cette image s’imprime bien dans la tête des jurés, le premier après-midi d’audience est entièrement consacré aux litanies des « experts en personnalité ». Trois spécialistes se succèdent à la barre pour mettre à nu les accusés avant de les rhabiller avec les costumes taillés par le tribunal.

C’est à l’enquêteur de personnalité qu’est confiée la tâche de ramener, médiocrement, un semblant d’histoire sociale des accusés dans les « débats ». Ce sinistre retraité de la justice a frappé à la porte des connaissances de Philippe et Michel, parfois avec insistance, toujours avec mépris, pour traquer des informations sur leur parcours et construire cette fameuse « personnalité ». Enfance difficile, absence de père pour les deux, appât du gain… il brosse grossièrement le portrait attendu. Michel l’influençable, traumatisé par la catastrophe d’AZF, qui a fait une grosse bêtise à cause de son addiction aux jeux. Philippe le meneur, le braqueur endurci par la prison, qui « avait donc pris l’habitude de vivre sans travailler en s’appropriant le bien d’autrui ». Philippe tente vainement de briser cette image : « Je ne suis pas d’accord avec l’enquêteur, je rentre en prison, je m’évade, je suis malade. L’avenir pour moi, c’est un rêve, quel espoir je peux avoir ? » Conclusion de l’enquêteur : « Les événements prouveront qu’il n’en était rien de son amendement. Il a trompé tout le monde pour obtenir sa conditionnelle. » Aucune réinsertion possible.

Après le brave enquêteur, censé incarner pour les jurés le bon sens populaire, arrivent les vrais scientifiques : le psychiatre et la psychologue, qui prétendent faire visiter le cerveau des accusés à la cour. Des entretiens à la va-vite, quelques tests bidon – QI, Rorschach –, et le tour est joué. Dans leurs jargons respectifs, ils enchaînent les poncifs pour aboutir aux mêmes conclusions : des déterminations psychologiques implacables se sont mises en place il y a bien longtemps et personne n’a plus jamais eu prise dessus. À les en croire, tout ça ne serait au fond qu’une histoire de « colmatage affectif », l’enfance n’ayant pas permis « l’intégration psychique de la loi ». Si Philippe braque, ce n’est pas parce qu’il a besoin d’argent mais parce qu’il est dans une « quête identitaire » : ne sachant qui il est, il se réfugie dans la seule identité qu’il connaisse – le braqueur. La conditionnelle ratée devient la preuve du caractère irrécupérable de Philippe et non de l’échec de l’institution ou de la nature mortifère de l’enfermement. Il a beau en dire toute l’horreur avec une droiture et une justesse qui saisissent la salle – comme chaque fois qu’il prend la parole –, les vingt-trois ans de prison jouent encore contre lui dans ce schéma. « J’ai pris quatre-vingt treize ans de prison, et même avec les confusions ça fait peur. L’avenir se juge dans cette cour d’assises. J’ai fait onze ans de quartier d’isolement, onze ans de QI ! Une heure de promenade par jour, menotté, transféré, à manger la gamelle. Onze années de bouffe pourrie ! J’ai commencé à perdre l’usage de la parole. Aujourd’hui j’arrive à peine à dialoguer, mais j’aurai encore beaucoup à en dire. Je ne suis jamais sorti de prison. » Tout ça montre pour le psychiatre qu’il « refuse la sanction » et qu’il s’est « endurci » en prison. Une « personnalité limite », mais « pas de pathologie ». Réinsertion ? « Impossible ». Emballez, c’est pesé.

Mise au point

Au bout de cinq heures d’élucubrations à charge, le tribunal accorde quelques minutes à trois témoins cités par la défense de Philippe. Il faut bien préserver l’illusion de débats contradictoires. Enfin quelques mots amis – perdus dans cet océan de mensonges – pour tenter de faire comprendre aux jurés ce que cela signifierait d’infliger à Philippe les peines encourues alors qu’il a déjà sept ans à purger et qu’il est gravement malade.

Laurent Jacqua, qui le connaît de longue date, raconte : « Philippe est un ami avec qui on a eu la même destinée. On a tous les deux été emprisonnés à vingt ans, on est tous les deux atteints de graves maladies. A l’époque on ne voulait pas mourir dans les prisons, alors nous sommes entrés dans un engrenage, on s’est évadés, et lors de ces évasions on a commis des braquages. On était pas des gangsters mais des prisonniers malades. Parce qu’il faut bien comprendre qu’à l’époque, on voyait les autres prisonniers mourir en prison, et nous on voulait s’en sortir. Les médicaments sont arrivés plus tard, en 1996. On vivait avec cette épée de Damoclès au-dessus de nos têtes, cette idée que la mort était imminente. À sa sortie de conditionnelle, Philippe n’a pas eu la même chance que moi : j’ai pu voir ma femme et mon enfant dès ma sortie alors que lui n’était pas autant entouré. Car il faut savoir qu’après vingt-cinq ans de prison, lorsqu’on sort on est détruit, surtout après des années d’isolement, de quartier d’isolement. Ça vous détruit. La seule chose dont il avait besoin, c’était d’un ami. Je veux faire comprendre que Philippe est un être humain, et pas un être froid qui va faire des braquages. Lorsque vous sortez de vingt-cinq ans, vous ne comprenez plus rien, c’est un nouveau millénaire. Il faut comprendre ce que fait la prison, mais il n’y a rien d’irréversible, j’en suis la preuve vivante. Le vrai danger de la sortie, c’est de ne pas avoir de soutien. Le plus dur pour une longue peine, c’est la première année. La plupart des prisonniers se suicident alors. »

Pierre est quant à lui venu témoigner de la correspondance qu’il entretient avec Philippe depuis qu’il a été réincarcéré : « Je me demandais ce que ça donnerait d’écrire à une personne qui avait fait vingt-trois ans de prison. Mais rapidement on s’est fait confiance. Je lui parle du monde de dehors et lui de sa vie de prisonnier, et de la manière dont il essaie de se sortir de l’identité de prisonnier qu’on lui a faite. Mais surtout, petit à petit, j’ai compris ce que c’était, vingt- trois ans de prison… j’ai un neveu qui a vingt-trois ans, donc c’est toute sa vie à lui. Ces vingt-trois ans, c’est tout ce que Philippe n’a pas vu, pas vécu, tous les gens qu’il n’a pas pu rencontrer. Malgré ça, on est devenus amis. C’est quelqu’un qui a braqué peut-être douze jours dans sa vie, et qui par contre en a passé des milliers enfermé. C’est en premier lieu un homme qui est prisonnier, et non pas « un braqueur. »

Sa compagne Monique, qu’il a rencontrée lors de sa sortie en conditionnelle, indique qu’ils avaient fait une demande pour habiter ensemble et qu’elle a été refusée. Elle rappelle aussi que l’employeur de Philippe était bel et bien un marchand de sommeil, raconte la chambre sans fenêtre, la paye qui ne tombe pas, les affaires de Philippe qu’elle veut récupérer chez lui après son arrestation mais qui ont disparu. Méprisant, le juge tente de la faire passer pour une sotte amourachée d’un voyou. Sans se démonter, elle rétorque qu’elle n’a pas rencontré « un braqueur », mais un homme touchant et respectueux, dont elle est tombée amoureuse. Elle décrit avec dignité leur rencontre, la misère extrême dans laquelle il se trouvait à l’époque, les joies de leur trop courte vie commune, puis les peines des trois années de parloir que la justice leur a déjà fait subir.

Mise à prix

Mais place aux parties civiles. Ça fait peu de temps qu’on leur donne cet espace démesuré dans les tribunaux, aux victimes. Elles sont là pour présenter aux jurés le visage de l’offense faite à la société, opposer le masque de la souffrance à celui du monstre. Leur douleur est prétexte à alourdir les peines. Les jurés doivent pouvoir s’identifier aux victimes, compatir, pour embrasser le rôle de vengeur qu’on attend d’eux. L’interminable litanie des souffrances justifie la longueur de la peine demandée ensuite. C’est l’aune à laquelle on évaluera le degré de souffrance à infliger en punition : une équivalence du mal. Agressif et narquois face aux témoins de Philippe, le président change de visage : il console, écoute, compatit ; il boit les détails, encourage les comédiens, en remet des couches sur le caractère irréversible des blessures intimes. On fait comme si ce n’était plus l’Etat qui punissait des atteintes au Droit et à la propriété, mais la société qui aidait des victimes à « se reconstruire ».

Défile donc le chœur des pleureuses. Elles ont peut-être eu peur, personne ne le nie ; mais, on le comprend vite, rien de bien dramatique. Aucune violence au cours des braquages. Les postières elles-mêmes admettent que Philippe a pris la peine de les rassurer : « Je ne vous veux aucun mal, je ne veux que l’argent. » Mais les victimes, coachées par eurs avocats, pensent avoir intérêt à exagérer leurs souffrances pour augmenter les dommages et intérêts. Elles jouent leur grande scène, en mode téléréalité : vision surréaliste d’une conseillère financière qui braque le président, ses doigts figurant l’arme, et détache ses cheveux pour montrer par où Philippe l’aurait attrapée. Au passage, elle se serait fait tirer les cheveux ! La belle affaire. Qu’il n’y ait pas eu violence physique importe peu, finalement. La « violence psychique », sourde, invisible, destructrice, suffit désormais. Ce qui compte, ce n’est plus le réel mais le ressenti. Voilà donc une cliente, dépressive au moment des faits, qui après avoir pris la matraque télescopique de Michel pour une mitraillette, sombre dans le silence, et perd 10% de ses capacités mentales… Son avocate larmoie : « sa vie est fichue, la vie de son mari est fichue, la vie de ses enfants est fichue. » Et ce directeur d’agence qui donne pour preuve de son traumatisme qu’il est justement retourné travailler le lendemain, parce que « quand [il va] mal, [il se] réfugie dans le travail » !

Dans cette phase du procès, comme dans toutes les autres, tout joue à charge. Les bureaux de poste sont tous tenus par des femmes : preuve de la lâcheté des braqueurs et du caractère prémédité de leurs actes, évidemment pas des politiques de recrutement de la boîte. Ils opèrent le matin : ils connaissent les horaires d’ouverture ! Philippe est décrit comme « nerveux » et « déterminé », ce qui atteste de sa « violence » et de son « professionnalisme ». Mais s’il avait été décrit comme calme, ça aurait sans doute fait de lui un être froid et calculateur. Même jeu de dupes pour le passage obligé des excuses : si tu n’en fais pas, tu passes pour un monstre insensible. Mais si tu en fais, tu es un hypocrite qui cherche à attendrir le jury. Tout ce qui sort de sa bouche est invalidé d’avance. Dialogue impossible entre le juge et Philippe : « – Je sais qu’on me croira pas mais je m’excuse. – Je pense qu’elle n’accepte pas vos excuses. – Je n’ai pas fait ça par plaisir après vingt-trois ans, et je suis désolé pour toutes mes victimes. – Vous n’avez pas la parole. – J’ai pas d’image de gentil braqueur à garder, j’ai encore dix ans, je sais même pas si je vais sortir vivant ! » Une fois le personnage construit, tout doit rentrer dans le costume trop étroit du bandit à supprimer. Pas moyen non plus de faire entendre à quel point cette conditionnelle était un enfer, et combien il était perdu : « J’ai passé onze ans isolé, même 26 000 euros, je sais pas ce que c’est ! – Qu’est-ce que vous avez fait de l’argent ? – Je m’achète une voiture parce que je suis à pied. Je suis sorti de prison en survet’, alors j’achète des habits. Quand j’ai fait des courses, j’ai vu comment l’euro, ça avait tué tout le monde. J’ai pas connu l’euro, moi, j’ai connu que le franc. » Ça énerve le juge : « Vous avez fait des courses comme tout le monde ! – Non, pas comme tout le monde : moi, je sortais de vingt- trois ans de prison. »

Mais pour le juge, pas question de se tromper de victime. Les parties civiles ont mis la dernière touche : le « braqueur » sème la souffrance sur sa route, et n’éprouve que des remords de circonstance pour tenter de réduire son ardoise. Tout est prêt pour l’acte final.

Mise à l’amende

Dernier jour. Défilent les deux avocats des parties civiles – qui demandent clairement que ces individus dangereux soient mis hors d’état de nuire –, l’avocat général, et enfin la défense.

Sans effort, l’avocat général Sylvestre ressert la version qui tourne depuis le début. Philippe est ce braqueur-né, multirécidiviste, à qui on a pourtant offert une chance inespérée en lui accordant une conditionnelle de dix ans. « Il a trahi la confiance de tout le monde. On ne va pas plaindre Philippe Lalouel d’avoir eu un appartement dans lequel il s’ennuyait, eu égard aux millions de travailleurs précaires qui ne sont pas pour autant des braqueurs et des délinquants. » La prison et l’isolement sont à nouveau utilisés à charge. Il égrène un long casier judiciaire, donne les évasions comme preuve de son inadaptabilité et de sa dangerosité. Paradoxe d’une justice qui, enfermant toujours plus longtemps, demande à ceux qu’elle a désocialisés totalement – un des fondements de la peine : sortir l’individu du monde social – de se réinsérer d’autant plus vite qu’ils ont été enfermés plus longtemps. Que les règles en cours dans le monde du dehors leurs soient devenues étrangères, que les modalités de la conditionnelle soient pleines de mortifères absurdités, c’est l’affaire du sortant. A lui de trouver les ressources surhumaines pour ne pas replonger. Et plus tu as fait de prison, et moins tu as les ressources pour survivre au dehors… moins on te pardonnera un écart. « Bien sûr, il faudra les reconnaître coupables et les punir. On ne va pas prendre de risques. Même si Philippe Lalouel peut m’être sympathique, c’est la conscience claire et le cœur serré que je réclame une peine d’élimination sociale. Vingt ans de réclusion criminelle. »

Elimination, le mot est lâché. On est loin de la réparation du crime : ce qu’il faut, c’est éliminer le criminel. Que dire après ça ? « Je ne pensais pas devoir un jour plaider contre la peine de mort, mais tel est le cas aujourd’hui », déclare l’avocat. « Avant même votre peine, M. Lalouel ne sortira pas avant 2020 – pas avant ses cinquante-cinq ans. Votre condamnation doit tenir compte de son retour à la société. Si vous le condamnez à dix ans, il sort à soixante-cinq ans. Je vous demande de le condamner à dix ans, dont cinq assortis de mise à l’épreuve. Si vous le condamnez à vingt ans, vous le condamnez à mourir en prison. » Malgré une plaidoirie émouvante et sincère, il est trop tard pour faire comprendre aux jurés qu’on ne juge pas là un braqueur endurci, mais un prisonnier longue peine, malade, désespéré, parti au braquage comme d’autres se suicident. Pour avoir une petite chance de les atteindre, il aurait au moins fallu les y préparer pendant les deux jours précédents : ridiculiser les expertises, dénoncer la morgue manipulatrice du président Costet, prendre les jurés à partie, revenir sans cesse sur ce qu’on juge en fait – des vols dictés par le besoin –, relativiser le traumatisme des victimes, imposer la parole de Philippe et de ses proches et attaquer frontalement les peines infinies et l’isolement carcéral.

Philippe, à qui on accorde les derniers mots pour sa défense, a la voix qui tremble : « C’est une condamnation à mort, que ce soit dix, douze ou treize ans. Je suis malade. Même si vous me rajoutez deux ou trois ans, je suis condamné. Je remets ma vie entre vos mains. J’ai une fille que j’aime- rais serrer entre mes bras hors de la prison, mais ce ne sera sans doute pas possible. J’ai une concubine qui vient me voir été comme hiver, et c’est dur. C’est pas facile pour elle. C’est dur de trouver les mots. Pourtant, j’avais réfléchi dans les geôles en bas mais là, j’ai pris un choc. Je remercie ma concubine, et les associations, et les amis qui ont été là. J’ai fait 14 ou 15 cours d’assises, mais là c’est la première fois que je suis touché comme ça. »

Mise à mort

Vingt et un chefs d’accusation, autant de votes sur la culpabilité ; puis le vote sur la peine, sans doute expédié en quelques tours. Trois heures de délibéré, qui restera secret. Le président a beau n’avoir qu’une voix comme ses assesseurs et les six autres membres du jury, lui connaissait le dossier ; il a dirigé les débats et dit à présent le Droit, donc la vérité. Le juge leur bourre évidemment le mou : ce n’est pas une condamnation à mort, parce que les confusions de peine, les suspensions de peine, les remises de peine, blablabla… Si bien que chaque juré peut voter le cœur léger. Non, il ne condamne pas quelqu’un à mort, puisqu’on lui dit que le Droit est là pour aménager la peine en fonction de la situation de santé de Philippe. Et puis la responsabilité individuelle est de toute façon diluée dans le vote.

Au nom du peuple français, Philippe écope donc de la peine d’élimination souhaitée par l’avocat général. Vingt ans, assortis d’une sûreté automatique aux deux tiers. Huit pour Michel, un de plus que ce qui a été requis. Une façon sans doute de lui faire payer sa solidarité avec son co-accusé, qu’il a refusé d’enfoncer au cours de l’audience et pour qui il a demandé la clémence des jurés. Sans doute aussi une façon pour ces derniers de ne pas imaginer Michel dehors peu après l’issue du procès : ça leur laisserait la désagréable impression de ne l’avoir pas puni, eux à qui on a confié le pouvoir immense et grisant d’exercer la vengeance sociale.

Philippe, digne comme il l’a été tout au long de cette sinistre comédie, s’éloigne avec Michel. Deux potes de dérive qui ont refusé de se renvoyer la faute, de jouer le jeu attendu par la cour. Respect.

 

http://lenvolee.net/contre-lelimination-sociale-de-philippe-lalouel/#more-1022

4 lettres depuis le CP de Mont-de-Marsan, prison moderne de merde…

Publié le 4 septembre 2013par l’envolée

DEPUIS LE CENTRE PÉNITENTIAIRE DE MONT-DE-MARSAN

« Prisons modernes de merde »

Le centre pénitentiaire Pémégnan de Mont-de-Marsan a été inauguré en novembre 2008 par Dati. C’est la taule « pilote » du plan 13200 lancé en 2002. Avec 300 places à la maison d’arrêt (MA), 360 au centre de détention (CD) et un quartier arrivant de 30 places, il permet d’enfermer dix fois plus que l’ancienne prison de Mont-de-Marsan.

Comme d’habitude, au bout d’à peine quelques années, il enferme déjà plus de prisonniers que prévu ; comme d’habitude, on se suicide beaucoup dans cette prison moderne ; comme d’habitude, la crasse et l’inconfort sont devenus le quotidien de cette détention en très peu de temps ; comme d’habitude ce sont encore les matons qu’on entend se plaindre. En novembre 2012, ils avaient bloqué la prison pour réclamer 20 postes supplémentaires en plus des 190 existants. Dès janvier dernier, ce sont des gendarmes et des flics qui ont commencé à boucher les trous en jouant aux matons. Le 24 juin dernier ce sont encore quinze matons du SPS et de FO qui manifestaient devant la Préfecture des Landes pour réclamer une fouille générale de l’établissement et un soutien systématique de la direction pour les fouilles à nu qu’ils sont nombreux à pratiquer en sortie de parloir et que tous les prisonniers dénoncent dans leurs lettres. Quant aux trois UVF, vantées dans tout le sud ouest par l’AP, ils servent de carotte à la directrice Séverine Dupart, et à l’adjoint au directeur, le bien nommé Laurent Cachau, pour obtenir le calme notamment des prisonniers longues peines qui passent par le CD.

Ce fut le cas de Philippe Lalouel qui a attendu trois mois la réponse pour son UVF. Deux jours après qu’il lui a été accordé, il est transféré à la centrale de Moulins, à 800 bornes de sa compagne…

Vous pouvez lire ici un de ses courriers datant d’avant le transfert quand il espérait encore partir à Lannemezan ; un courrier de Gaëtan qui a lui aussi été transféré depuis à la MA d’Agen. Un troisième courrier anonyme finit le portrait de cette taule.

En plus de ces trois courriers publiés dans le numéro d’été du journal (N°36 toujours disponible sur simple demande, mail ou dans les librairies dont vous trouverez la liste dans la rubrique « où trouver le journal? »), vous pouvez lire en premier un courrier daté de fin juillet mais reçu récemment. Il nous parvient d’un prisonnier qui vient d’être transféré de la prison de Neuvic qui a connu une certaine agitation ces derniers temps (cf aussi le numéro 36, été 2013). Il se bagarrait là-bas depuis le quartier disciplinaire, il continue à Mont-de-Marsan.

N’hésitez pas à nous contacter si vous souhaitez entrer en contact avec lui ou les autres prisonniers qui s’expriment ici pour les soutenir dans leur combat contre l’AP.

Le mardi 23 juillet 2013, pour l’équipe de Papillon,

Mesdames, Monsieur, je vous ré-écris, car je vous ai écrit il y a une semaine par recommandé pour dénoncer et vous faire part de comment fonctionne la détention à Mont de Marsan, mais malheureusement la direction a jugé meilleur de bloquer mon courrier, du coup vous ne l’avez pas reçu. Bref. Maintenant je suis à Mont de Marsan, depuis les arrivants on m’a affecté dans une aile complètement fermée, sans raison apparente, dédiée à
l’inactivité et à la désinformation. 22 heures sur 24 je me suis retrouvé dans une cellule où je retrouvais toutes sortes de bestioles, telles que des cafards, des moucherons, des pince-oreilles, des fourmis, et j’en passe !
De plus, ma cellule, comme la plupart des cellules, donnait sur des abords jamais entretenus, alors il s’y dégage une odeur insupportable, et la chaleur n’arrange rien, du coup on ne peut pas aérer. A cause de tous ces facteurs j’en suis réduit à bloquer le mitard, en espérant être transféré dans un CD (centre de détention) plus approprié, où il y a des activités, ce qui collerait plus avec ma peine qui se termine en 2017. Je suis passé au prétoire en précisant les raisons pour lesquelles je bloquais, et j’ai dit à la directrice que j’avais rédigé un courrier qui vous était destiné. Tout subtilement elle s’est moqué de moi, tout en sachant qu’elle avait déjà bloqué mon courrier. Bref. Maintenant je bloque le mitard. Et je ne suis pas le seul dans ce cas,
nous sommes trois, dont Monsieur X, n° XXX, qui a également bloqué au mitard et m’a autorisé à la citer car il l’a souhaité,
et qui se plaint que les surveillants ne le fassent pas changer ses draps, alors qu’il le leur demande depuis trois semaines, ce que j’ai pu constater depuis un peu plus de deux semaines. Toutes les semaines j’entend des détenus qui se plaignent de se faire tabasser par des surveillants que je peux entendre quand ils sont en action dans le
couloir. Voilà tout, j’espère vous avoir éclairé sur la situation, moi en tous cas
j’en suis lassé. Alors en attente d’une réponse, je vous prie d’agréer mes salutations
distinguées.

PS : La directrice, c’est Madame Dupart Séverine, et l’adjoint au
directeur, c’est Monsieur Cachau Laurent.

PS : J’avais oublié de vous dire qu’ils employaient des termes racistes envers d’autres détenus d’autres ethnies.

 

B.

 

La lettre qui suit est écrite par Philippe Lalouel dont nous avons raconté le dernier procès dans le numéro 34 du journal. En partant de son cas et d’anecdotes divers auxquelles il assiste, il nous présente ici un rapport détaillé de la détention à Mont de Marsan. Ce que les observateurs extérieurs ou autres journalistes objectifs ne publient pas. Philippe a été transféré à la centrale de Moulins, encore plus loin de sa compagne qui n’a pu aller le voir pour la première fois depuis ce transfert qu’au mois d’août. Philippe attend son procès en appel où il entend bien continuer à dénoncer les peines infinies et la guillotine carcérale. Vous pouvez lui écrire à  :

Mars 2013, Centre pénitentiaire de Mont-de-Marsan, à l’Envolée

Je vous écris d’ici, de ces prisons modernes…

Le médical

Je vais commencer par moi, hein, avec le médical ici, qui est nul. Lorsque j’ai été extrait à l’hôpital, un vrai gag : arrivé là-bas, on me demande ce que je veux. Là, je serre les dents et je dis à l’infirmière de me faire détacher pour qu’elle m’ausculte. Eh bien rien ! Elle la ferme, effrayée par tous ces flics armés de l’escorte. Ils me détachent pas et je repars comme je suis arrivé. La dentiste, elle, ne veut pas me soigner car elle veut la preuve que j’ai la CMU… ça fait juste vingt-cinq ans que je suis enfermé et que j’ai la CMU. Donc ma femme a dû envoyer une attestation pour prouver que je l’ai. Voilà, ça fait donc plus d’un mois sans soins. La dentiste est une femme aigrie, comme tout le monde dans cette taule ; tout juste un bonjour et des gueules d’en-terrement. Là ça fait une semaine que je suis sorti du mitard et toujours pas de traitement ; heureusement que j’en ai d’avance. J’ai un pote à côté qui fait de la tension. Il avait un traitement qui ne marche pas. Le médecin lui dit : « Très bien, arrêtez ce traitement. Vous n’avez qu’à plus manger de sel » (sic). C’est quand même cinglé, non ? Je me demande sans cesse où je suis tombé.es matons, le mitard, la directionJ’écris, j’écris, mais ils ne répondent même pas. Je vais vous expliquer pourquoi : c’est une taule où les matons te pro-voquent sans cesse. Tu écris, et sans réponse tu gueules, etlà ils te mettent au mitard. Depuis que je suis là j’ai pas vu un maton ou une matonne avec de l’humanité. Sans cessedes bonjours dégueulasses, à t’écœurer. Il y a deux jours unmaton a repoussé un jeune très fort dans sa cellule. Pourmoins que ça, à Seysses, un copain a pris un rapport et du mitard pour agression. Ici ils se permettent beaucoup de choses, c’est l’armée. À moi, le maton a oublié de m’ouvrirla porte pour la promenade… Pourquoi ? Eh oui, la provocation. Et la nuit, à partir de 20 heures, c’est des rondes toutes les heures pour me casser les couilles et voir si je suis toujours là. Là, ils ne m’oublient pas. En fait, je viens d’apprendre que certains matons auraient deux boulots : maton et gendarme, vous avez compris ! Ils m’ont mis au mitard sans tenir compte du fait que je me tiens tranquille depuis trois ans. Allez : sept jours de sursis et huit fermes. Au mitard ils te laissent sans savon et sans café.C’est sale et si tu restes vingt jours, tu peux pas te laver pendant vingt jours : tu restes dans ta merde. Et une ventilation qui fait un bruit à rendre fou un homme, vraiment fou. Et un directeur et une directrice de détention qui n’arrêtent pas de me dire : « Vous êtes libérable en 2040, ne me dites pas que vous n’allez pas vous évader. » Sans cesse ce discours. Alors je leur rappelle que j’attends un jugement en appel, et que 2040 c’est provisoire. Mais non, on me maintient le statut détenu particulièrement signalé (DPS) car je suis jugé sur mon passé. Encore une fois, leur parano est extrême à mon sujet. Ils disent que cette taule n’est pas adaptée pour moi. Alors que c’est déjà très sécuritaire : une caméra tous les mètres carrés, ta vie de prisonnier est violée en permanence. Je serre les dents, je ne parle pas avec eux. Les Eris (Équipes régionales d’intervention et de sécurité) se prennent pour des hommes en montrant leurs muscles. Mais ils ne me font pas peur, c’est des merdes : tomber et frapper un détenu à 10 ou 15, c’est facile. Pour la promenade ils te palpent à corps avant que tu passes au portique. Même pas dans les QI (quartiers d’isolement) ils te font ça. Ils te fouillent à la sortie, à l’entrée. Tu dois rester derrière des traits par terre . Bref, une prison de fou : en vingt-cinq ans de taule dont onze ans de QI, j’ai jamais vu ça.

Les conditions de détention
Je raconte un peu tout vite fait, OK. La gamelle est infecte et très mal servie. C’est la crise, même en prison. Ils tirent sur tout, hein. Je leur ai demandé ce qu’ils comptent faire pour des gens comme moi qui n’ont pas de boulot pour cantiner, rien de rien ; ils répondent que je suis sur liste d’attente. Pour le téléphone : il n’y a qu’un téléphone pour deux ailes. Alors ça gueule, tout le monde tape pour y aller et les matons ne cessent de gueuler : « Ta gueule ! » – pas à moi, je ne pourrais pas supporter qu’on me parle comme ça. Le courrier, il arrive en bloc et en retard. Dans la douche, il faut se coller au mur si on veut que l’eau nous atteigne ; la lumière de la glace, elle est fixe et dirigée vers le plafond, ce qui fait que tu peux pas te voir dans la glace. Le préau pour s’abriter quand il pleut en promenade ne sert à rien : il est à huit mètres de haut au milieu de la cour. S’il n’était pas là ce serait pareil. Les cellules sont pas chauffées ; si t’as pas de plaque chauffante, tu crèves de froid… un froid moderne, juré. Et ce ne sont que des exemples.

Les remises de peine, le travail.
Pendant ce temps, je ne touche pas de RPS (remises de peine supplémentaires) car le juge me re p roche de ne pas bosser ; mais c’est eux qui ne veulent pas que je bosse. La première année à Seysses, ils me refusaient les RPS aussi. Mais j’avais fait appel et là,
miracle, ils m’avaient donné quinze jours de remise. Là, alors que ma situation n’a pas changé (je suis toujours en train de purger le reliquat d’une peine précédente et prévenu dans une affaire où j’ai fait appel), ils ne me donnent rien. J’ai écris plusieurs lettres pour leur demander de me justifier pourquoi je ne peux pas bosser, de le faire par écrit. Évidemment le sous-directeur, qui s’appelle Monsieur Cachau – faut le faire – me répond encore que je suis sur liste d’attente. Ahahaha. En fait il veut me transférer, c’est tout. Et eux ils font ce qu’ils veulent.

Bref une prison moderne de merde où tout est fait pour déboussoler, détruire, casser le détenu. Où rien n’est construit normalement. Bon j’arrête là car le sang me monte à la tête, là, ahahahaha. Vite, vivement la centrale – mais il faut que ce soit Lannemezan, que je reste près de ma compagne… J’embrasse tout le monde, merci pour tout, à bientôt « en appel ».

 

PHILIPPE

La très belle lettre qui suit nous est parvenu anonymement ; nous espérons que son auteur tient toujours le coup. FCD
« LETTRE D’UN MEC », CHRONIQUES MONTOISES, Mars 2013, à L’Envolée, Maison d’arrêt de Mont-de-Marsan

Neuf mois à peine et déjà une éternité derrière ces barreaux qu’innocemment je m’imaginais plus translucides à Mont-de-Marsan qu’à Toulouse. Comme le prédisent les anciens, ce n’est pourtant que le début d’un parcours carcéral qui va sans aucun doute me réserver bien des déceptions et beaucoup d’incompréhensions. Ce transfert sur la maison d’arrêt landaise, c’est moi qui l’ai demandé. Les raisons en sont simples et presque les mêmes pour tous les détenus supportant les médiocres dysfonctionnements de ce trou à rats : les UVF (unités de vie familiale) ! Eh oui !Ces petits appartements où, durant quelques heures, on pourra exister à nouveau. Le temps de redevenir un père, un amant,un mari pour ensuite replonger dans sa solitude en attendant encore la clémence d’une administration jouant de ses privilèges pour vous asservir par quelques avantages, si insignifiants soient-ils : une autre UVF. Depuis mon arrivée, j’ai pu constater à mes dépens combien la justice s’avère procédurière – seulement lorsque ça l’arrange.J’en veux pour preuve mon autorisation à téléphoner. Un combat quand on n’est que prévenu, avec le montage d’un dossier composé de papiers difficiles à obtenir en détention et surtout l’incertitude d’un accord lié à la seule appréciation d’un juge. On ne demande pourtant qu’à parler à nos enfants, nos proches.Eh bien, voyez-vous, même après avoir obtenu ce sésame pour six petits numéros, vous perdez ce droit sur un simple transfert– dont le rapprochement familial était la motivation. Eh oui, la maison d’arrêt de Seysses n’ayant pas fait son travail d’archiver l’accord du juge, il me faut tout reprendre à zéro. Deux mois de plussans entendre la voix de mes trois garçons que je n’ai toujours pas vus depuis mon incarcération. J’appelle ça de la torture morale, dont malgré de multiples réflexions, je n’ai jamais compris l’utilité. J’espère obtenirbientôt leurs permis de visite.Quoiqu’il en soit, je place Mont-de-Marsan dans une catégorie de centre pénitentiaire bafouant, par une multitude d’incohérences, la dignité humaine. On pourrait croire qu’ayant été sanctionné par des lois répressives pour nos délits, on serait traité comme l’exigent d’autres lois dédiées aux mesures de détention, mais il n’en est rien.Bientôt je serai doublé, comme tant d’autres, alors nous serons deux à tourner en rond au milieu de 9 m2 – auxquels on en enlève 4 pour le lit superposé trop bas pour s’y asseoir, l’unique meuble de rangement qu’il faudra bidouiller d’unrideau sinon gare aux odeurs de cuisine et la table placée devant la télévision, de telle sorte qu’il faut tirer au sort pour savoir qui va écrire ou qui va regarder une émission. Ajoutez à cela une douche nécessitant des facultés acrobatiques pour se trouver sous le jet d’eau. Certaines vous demanderont d’être plaqué contre un mur, d’autres deux murs, et d’autres encore d’être plié très bas car, pas de chance, vous mesurez plus d’un mètre quatre-vingt. Que du bonheur ! Non, sérieusement, ça va mal ! Avant de vous laisser mes simples observations, j’en reviens vite au téléphone. Il me l’ont rendu, mais avec un poste pour soixante personnes, la partie va être serrée.Allez ! Peut-être aurez-vous compris que la prison n’est plus ce qu’elle était, mais n’est pas non plus ce qu’elle devrait être et encore moins ce qu’elle prétend être, et au milieu, nous, pendus à des réformes qui peut-être ne changeront rien aux conditions de détention.

ANONYME

La dernière lettre a été écrite par un jeune gars qui refuse dores te déjà de se laisser faire. Gaetan a depuis été transféré. L’AP procède évidemment toujours ainsi en transférant les geneurs ou désignés  tels mais force est de constater que la direction de Mont-de-Marsan s’embarrasse encore moins que d’autres et obtient les transferts qu’elle souhaite très vite. Quoi qu’il en soit vous pouvez écrire à Gaetan à la MA d’Agen ou il continue à l’ouvrir :  Gaetan Castel, ecrou N°24705, MA d’Agen.

Maison d’arrêt de Mont-de-Marsan, Le 17 mars 2013, à l’Envolée

Bonjour je me présente, M. Castel Gaëtan, détenu à la maison d’arrêt de Mont-de-Marsan et je vous fais part de mon mal-être en détention.Tout d’abord il y a peu de temps, j’ai subi une peine de quatorze jours dont huit fermes et sept de sursis au quartier disciplinaire (QD). Pour seule raison : le refus d’intégrer une cellule. Or il s’agissait d’une cellule au rez-de-chaussée,qui est réservé aux personnes qui ont commis des crimes sexuels, et je ne vois pas pourquoi on m’obligerait à aller avec ces gens-là. Si c’est ça ou le quartier disciplinaire, je fais du QD. Sans raison valable on me demande de changer de cellule, et lorsque je sors du mitard, nouvel incident : on m’affecte dans une autre cellule qui n’est pas correcte non plus, puisqu’il s’agit d’une cellule simple avec deux lits, le deuxième ayant été rajouté. Et la personne qu’ils amènent est fumeuse, alors que je suis non-fumeur, et vu les lois, ils ne peuvent donc pas me laisser comme ça. La cellule n’est équipée que d’une seule table et d’un seul casier alors que nous sommes deux codétenus. Je me plains donc de la manière dont l’administration se préoccupe de notre mode de vie.Je dénonce le fait qu’on me dise de rester comme ça sous peine d’aller au QD. Quand je demande au chef de bâtiment pour quel motif ils me mettraient au QD alors que je suis dans mes droits, il me répond : « Vous inquiétez pas, on va en trouver, des raisons, si on veut ! » Je ne supporte plus la provocation faite par les surveillants, lors d’un débat qui a lieu pour me faire changer de cellule,lorsqu’on leur demande d’appliquer un minimum la loi. Je ne suis pas le seul dans ce cas-là. Sans cesse les fouilles à corps, alors que nous sommes obligés de passer un portique électronique qui est fait pour ça, un portique qui détecte si l’on est porteur d’objets interdits ou dangereux. D’autre part, j’avais une plaque électrique pour me faire à manger ; au bout de six mois, même pas, elle a cassé ; la résistance a lâché. Or, un objet neuf sous garantie, je demande à ce qu’on me le change. On me dit d’accord : on me dépanne une plaque le temps de m’en renvoyer une ou de la répare r. Puis soudain, il faut que je cantine une plaque à 50 euros, car ils ne veulent plus entendre parler de l’ancienne. Suite à mon désaccord lors de mon changement de cellule, on m’a pris la plaque sous le nez en me disant : « Vu votre comportement, vous me faites chier, on la récupère . » Donc je me retrouve sans plaque sans aucune raison, toujours à deux dans une cellule simple, et avec un fumeur. Ce qui n’est pas normal. On m’a menacé de me transférer loin de chez moi si je ne m’écrase pas dans ma cellule pour un à deux, sans plaque chauffante. Je dénonce aussi le fait qu’on est sans arrêt provoqué et poussé à bout ; à chaque fois que l’on conteste un fait d’un surveillant, ce sont 6 ou 7 surveillants qui mettent des gants et direction le QD si on refuse de se rabaisser devant eux. Suite à mon passage au QD pour ne pas avoir voulu intégrer une cellule au rez-de-chaussée, on m’a bien fait comprendre que je n’aurais pas ma place au travail ou en formation. Or, cela fait quatorze mois que je suis incarcéré et on ne m’a appelé qu’une seule fois,alors que j’ai fait de nombreuses demandes. Je vous fais part de nombreux événements qui ne font pas partie des choses humaines et tolérables. Sans arrêt on est mené à la baguette. Et pour les UVF (unités de vie familiale) il faut d’abord que le magistrat accepte ; du coup on fait du chantage avec ça chaque jour. Merci de me lire.PS : je décide de porter plainte contre tous ces gens qui n’appliquent pas la loi telle qu’elle est prévue.

GAËTAN

 

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