Dans Le Père Peinard (1898)
Tous les marloupiers qui, pour quelques pièces de cent sous, remuent la casserole et dégringolent dans la mouchardise devraient bien ruminer l’histoire suivante.
Il y a quelques semaines, à Barcelone, une tentative d’évasion, manigancée pour tirer de la prison Ramon Sempau, le riche fieu qui essaya de revolvériser l’inquisiteur Portas, et un autre copain, fut à deux doigts de la réussite.
Trois copains s’étaient attelés à la besogne et, entrés en communication avec les deux détenus, leur avaient fait parvenir deux revolvers, des cartouches, des cordes à crochet, des fausses clés et un flacon d’opium pour endormir, sans bobo grave, les gêneurs. En outre, tout un étage d’une maison voisine de la prison avait été loué… L’évasion était sur le velours – quasiment réussie !
Mais va te faire foutre ! Dans la prison était détenu, pour contrebande, un ami d’enfance d’un des deux prisonniers qui crut pouvoir se fier à lui ; le salopiaud, nommé Pelat, alla casser le morceau aux gardiens.
Illico, Sempau et son camarade furent collés au secret, bouclés dans des cellules sans air, sans lumière, sans couchette – un des tombeaux comme il y en a des tas dans les prisons d’Espagne.
Par une chance épatante, les amis qui, du dehors, avaient préparé l’évasion, purent s’éclipser sans encombre.
Naturellement, le mouchard fut récompensé : on le libéra en lui graissant la patte. Peu après, il eut une sale affaire et fut refourré au bloc – malgré le service rendu. Il en est toujours ainsi : la police n’a aucune reconnaissance pour les vermines qui lui rendent des services.
En prison, les gardiens étaient obligés de surveiller nuit et jour le mouchard Pelat, crainte que les autres prisonniers ne l’estourbissent – tellement il était exécré.
Sur ces entrefaites, un jeune gars de vingt ans, José Perez Exposito, fut arrêté… Tout laisse à croire qu’il se fit boucler volontairement pour atteindre Pelat.
Et il a réussi, nom de dieu !
Ces jours derniers, Exposito rencontra le mouchard dans la prison et, profitant de l’inattention des gardechiourmes, il lui colla un poignard dans le ventre. Emporté mourant à l’infirmerie, l’infect salaud n’a pas tardé à dévisser son billard.
Puisse la lugubre crevaison du mouchard Pelat donner à réfléchir aux tristes imbéciles qui se laissent enrôler dans la police.
Le Père Peinard
9 octobre 1898
http://www.non-fides.fr/?Conseils-aux-mouchards