Le pourquoi de la mise en ligne de journaux anarchistes lyonnais pendant la période 1882-1884
Pour nous il s’agit de mettre à la disposition du plus grand nombre d’une série de textes qui dormaient dans des archives poussiéreuses depuis une bonne centaine d’années. Ainsi on peut se donner une idée plus précise de l’activité des groupes se revendiquant du drapeau de l’anarchie à Lyon et sa région. Nous mettons à disposition d’abord les différents journaux anarchistes de la période 1882-1884 (dont nous donnons la liste ci-après). A cela s’ajoute une chronologie qui n’est rien d’autre que la compilation de différents rapports policiers sur les militants, les réunions (publiques et privées), les arrestations, les procès. C’est la première fois que ces rapports sont rendus publics et peuvent constituer une base de réflexion, tout en sachant qu’il s’agit de prendre ce type de documents avec recul. En attendant mieux, nous pensons que ces rapports donnent des éléments intéressants sur cette période (comme le nombre de participants aux réunions, leur fréquence, les thèmes abordés, les interventions des militants…). On peut les lire en parallèle avec les journaux, les biographies de quelques militants les plus en vue et le petit développement historique que nous proposons ci-dessous.
Dans ce qui suit nous donnons une série de repères historiques, de moments-clé dans le développement du mouvement anarchiste à Lyon et sa région. Notre démarche n’est pas de donner un texte achevé, qui fait tout le tour de la question. Il n’a rien d’exhaustif et on pourra toujours nous faire remarquer qu’il manque ici et là des détails d’importance. Certes, nous pensons toutefois que nous ne pouvons que nous renforcer et élargir nos vues à travers le partage, les échanges de documents et de réflexions, en dehors de tout sectarisme.
Quelques rappels historiques [1]
Après l’écrasement des mouvements insurrectionnels qui s’affirmèrent avec force dans différentes villes en France – Paris, Lyon, Marseille, Narbonne, Toulouse, St.-Etienne, le Creusot [2] – après la chute du Second Empire (le 4 septembre 1870), la plupart des militants ouvriers en France, organisés dans l’Association Internationale des Travailleurs et/ou dans le parti blanquiste [3], dans les syndicats naissants (sous forme souvent de société de résistance et de solidarité), sont soit morts ou déportés au bagne en Nouvelle-Calédonie [4], soit sont partis en exil (Belgique, Suisse, Angleterre, principalement). C’est ainsi qu’il a fallu quelques années pour que de nouvelles forces surgissent et s’organisent.
Le moment le plus important de ce renouveau organisationnel est la tenue du troisième congrès ouvrier à Marseille le 23 octobre 1879 qui réunit aussi bien des représentants d’organisations ouvrières que des délégués de groupes socialistes. Ce congrès fait suite au congrès de Paris [5] (1876) et de Lyon (1878). La moyenne d’âge de ces militants est de 30 ans. Ceux-ci croient à la nécessité de la grève, rejettent le coopératisme et ressentent le besoin d’une organisation stable pour que les grèves soient de plus en plus fortes (celles-ci repartent, après une vague en 1875-76, en 1878 et culminent en 1880). Michelle Perrot dans son livre Les ouvriers en grève 1870-1890 [6] écrit : “partout des hommes jeunes, à la mentalité bien plus combative conduisent le mouvement. Ces hommes sont souvent les mêmes qui organisent les premiers cercles d’études sociales [7] envisagés au congrès de Marseille“.
Le besoin impératif d’une organisation plus solide se faisant sentir, on peut dire que ce congrès fut un tournant décisif car il donne naissance à la Fédération du Parti des travailleurs socialistes de France qui a son tour va pousser les militants à s’organiser dans leur région, créer des fédérations locales. Suite à ce congrès, décision a été prise d’organiser la fédération en 6 régions autonomes. L’apparition de groupes qui se sont constitués à la fin des années 1870 vont essaimer, prendre de l’importance, par l’organisation des forces militantes au sein d’une même organisation. Pour ce qui concerne la région de Lyon, c’est l’apparition de la Fédération de l’Est, dans laquelle nous retrouvons les différentes tendances qui se sont exprimées au congrès de Marseille.
Lors du congrès de Marseille les collectivistes l’emportèrent sur les tenants du coopérativisme et du mutuellisme (dont les membres se prononçaient contre les grèves). Mais au sein même des partisans du collectivisme, la lutte allait opposer rapidement les partisans et opposants au cirque électoral. En gros il y a d’un côté Jules Guesde [8], Paul Lafargue [9], Gabriel Deville [10]… qui publient le journal L’Égalité depuis 1877 où dans le premier numéro, ils se prononcent clairement contre l’abstention électorale : “l’abstention générale en matière politique, telle est la règle de conduite que quelques socialistes voudraient voir prédominer. Ce mot d’ordre, quant à nous, nous ne l’acceptons pas. Intimement convaincus qu’un certain milieu préalable de liberté politique est nécessaire à la préparation de la révolution sociale, que cette révolution ne peut s’opérer que lorsque l’évolution gouvernementale est terminée, aux ouvriers nous ne cesserons de prêcher l’action” (n°1 de L’Égalité, page 3). Il n’est pas étonnant qu’en mai 1880 ce journal, par la plume de Guesde et Marx, accouche du programme électoral des travailleurs socialistes en “vue des batailles électorales” de l’année 1881. De l’autre côté, il existe des groupes d’études sociales influencés par l’anarchisme qui sont sur des positions abstentionnistes. Mais pour l’instant ces débats se déroulent au sein des mêmes organisations, les tenants de thèses aussi controversées que la participation électorale se côtoient et se retrouvent dans des actions communes, comme par exemple le soutien à l’élection d’Auguste Blanqui pour que celui-ci puisse sortir de sa prison [11].
Il était logique que rapidement des tendances clairement identifiables se cristallisent et se différencient. Déjà au congrès du Havre (1880) une scission était intervenue avec les coopérateurs. Les opposants à l’abstention et les anarchistes marchent encore ensemble et sont amenés à négocier leur action commune [12]. Ainsi les premiers acceptent des concessions et proclament “qu’au cas où les élections municipales et législatives de 1881 se solderaient par un échec, ce serait la dernière expérience électorale du parti ouvrier qui se bornerait, dès lors, à l’action révolutionnaire” [13]. Les anarchistes participent aux élections législatives d’août 1881 (oui, oui !!) mais suite à celles-ci s’opposent désormais au cirque électoral, quant aux collectivistes, en contradiction flagrante avec la déclaration ci-dessus, ils s’engagent à corps perdu dans cette voie.
En 1881 le parti issu du congrès de Marseille se disloque. Le 22 mai, les anarchistes font scission au congrès régional du Centre à Paris, entraînant le gros des fédérations de l’Est (Lyon) et du Midi (Marseille). Dans la foulée ils (de 150 à 200) tiennent un congrès socialiste-révolutionnaire du 25 au 29 mai à Paris et mettent en avant leurs principes : impuissance des réformes, des révolutions politiques, du suffrage universel ; la nécessité de la propagande par le fait, la suppression de la propriété [14]. En juin ce sont les blanquistes qui rompent et créent le comité révolutionnaire central en juillet 1881 [15].
A Lyon et sa région (dite de l’Est à l’époque)
C’est dans l’Est que la présence des anarchistes est la plus importante. Elle s’explique par la proximité de la Suisse qui abrita un bon nombre d’exilés de la Commune ainsi que la Fédération jurassienne. C’est dans ce pays que fut créée l’Internationale anti-autoritaire en 1872 à St Imier et que naquit le journal le Révolté à partir de 1879 animé par Élisée Reclus, Kropotkine, Cafiero… dont la diffusion était assurée dans la région de l’Est (Lyon, Vienne, St Étienne, Montceau-les-Mines).
Dès 1872 , il existe 2 groupes anarchistes à Lyon, un à la Croix-Rousse fondé par Boriasse [16] et un à la Guillotière. Leur activité principale est de diffuser les brochures éditées à Genève (de même pour les groupes de Roanne, Saint-Etienne, Vienne, Villefranche). Ces 2 groupes correspondent avec différents groupements anti-autoritaires présents en Suisse, Italie, Belgique, Espagne.
Le 4 avril 1873, Alerini, Brousse, Camet [17] constituent à Barcelone un comité de propagande révolutionnaire socialiste de la France méridionale [18]. “Nous nous plaçons sur le terrain de l’anarchie, nous ne sommes pas communistes parce que le système nécessite l’établissement d’un grand pouvoir central (…), nous ne sommes pas mutuellistes, parce que nous ne croyons pas à la constitution de la valeur (…), nous sommes collectivistes” [19]. Ils éditent un journal, La Solidarité Révolutionnaire, qui aura 10 numéros à partir du 10/06/1873 (jusqu’en septembre) qui se fixe comme tâche de préparer un mouvement insurrectionnel de caractère antiétatiste. Ce comité aura des liaisons avec des groupes existants en France en particulier avec ceux de l’Est et proclame : “nous ne voulons ni réformer l’État, ni le conquérir, nous voulons le détruire”.
Le 15 août 1873, un congrès clandestin des partisans de l’AIT se réunit à Lyon. Les 30 délégués adoptent un programme collectiviste anti-autoritaire et décident de créer des groupes locaux autonomes.
Camille Camet s’établit à Lyon en septembre 1873. Il essaie de fédérer d’autres camarades pour passer à l’insurrection en cas de restauration monarchique. Il met sur pied un comité d’action révolutionnaire des travailleurs dont le programme est la proclamation à Lyon d’une commune autonome et libre, la dissolution de la police, l’abolition des codes, lois, décrets et de la magistrature. Un tribunal populaire rendra justice et l’abolition de l’armée permanente.
Camet est arrêté avec ses camarades le 16/11/1873 et le procès s’ouvre le 20/04/1874, dit du complot de Lyon. Les prévenus sont poursuivis pour affiliation à l’Internationale, 26 furent condamnés dont Camet et Gillet à 5 ans de prison.
Novembre 1880 : fondation à Lyon de la Fédération révolutionnaire de l’Est qui rassemble les différentes tendances (collectivistes, anarchistes…). Elle regroupe des groupes de Villefranche, Roanne, Saint-Etienne, Lyon.
En mars 1881, la scission s’affirme. D’un côté il y a des militants comme Bordat [20], Bernard [21] qui forment un nouveau parti ouvertement anarchiste et qui prend le nom de Parti Socialiste-révolutionnaire (ou Fédération révolutionnaire). D’un autre côté il y a d’autres militants comme Brugnot [22], Farjat [23] qui regroupent les militants partisans de l’action légale au sein de ce qui reste de la Fédération de l’Est.
Le 14 juillet 1881, se tient le congrès anarchiste international à Londres. 120 anarchistes lyonnais y envoient leur délégué, Kropotkine qui depuis 1872 avait adhéré à l’AIT, participait activement à la Fédération jurassienne et écrivait dans le journal Le Révolté. Le congrès, même si par la suite cette Internationale n’eut pas d’existence réelle, reconnaît la propagande par le fait [24] comme moyen d’action (voir Le Révolté du 23 juillet 1881 pour les différents rapports et résolutions).
Par la suite, en octobre 1881, des militants comme Boriasse critiquent vivement la direction de la Fédération, c’est-à-dire Bordat et Bernard, pour leur dirigisme puisque ceux-ci ne demandaient pas la participation des sections (8 au départ). Celles-ci commencent à s’activer et à partir de novembre 1881, se constitue une Commission secrète d’action dont les membres sont reconnus par la base (par un vote). Par la suite, l’activité de ces sections va se développer (on parle à cette époque de la présence de 100 à 120 militants anarchistes).
L’activité principale des sections est la propagande anti-électorale, comme lors des législatives d’août 1881. Puis par la suite, lors de réunions publiques (onze au minimum d’octobre 1881 à juillet 1882), elles se mirent à propager les principes du communisme-anarchiste, comme cela fut écrit par Cafiero dans une série d’articles du journal Le Révolté n° 19 (13 novembre 1880) ou encore revendiqué par exemple dans le journal Le Drapeau noir : “nous voulons la destruction complète de toute autorité, de toute organisation gouvernementale, nous voulons l’anéantissement de la propriété individuelle, la liberté absolue, c’est-à-dire le communisme-anarchiste“. (n° 3, 26/08/1883).
La participation à des Congrès internationaux est une autre activité, comme celui qui se tint à Genève les 13 et 14 août 1882, regroupant 54 délégués français (dont 12 de Lyon) et suisses (et un italien). Congrès qui ne déboucha sur pas grand chose, à part une déclaration de principe [25].
A cette époque, Lyon est la seule ville en France où les anarchistes ont leur propre presse avec la parution en avril 1882 du journal Le Droit Social (organe socialiste-révolutionnaire, 24 numéros, hebdomadaire, 4 000 à 5 000 exemplaires) qui paraît jusqu’en juillet de la même année et dont la diffusion, comme les journaux qui vont suivre, se fait dans toute la région. Lui succède L’Étendard Révolutionnaire (organe anarchiste hebdomadaire, 12 numéros, 4 800 puis 5 000 exemplaires) le 30 juillet 1882 jusqu’au 15 octobre 1882.
Toute cette propagande écrite, ces réunions… ne pouvaient qu’entraîner la répression de l’État. Tout d’abord contre les journaux dont certains propos étant jugés injurieux, diffamants – pour l’État s’entendant – entraînent des poursuites contre les directeurs-gérants, les auteurs supposés des articles (qui ne sont pas signés). Dans les réunions publiques, les commissaires présent infligent des amendes pour des propos jugés insultants. Puis par la suite la répression se fait plus dure et étendue, surtout à partir des événements de Montceau-les-Mines du mois d’août 1882 dont il nous faut dire quelques mots.
A Montceau-les-Mines, les mineurs en grève sont armés de fusils, de fourches et de revolver [26]. Le 5 août, ils détruisent des croix de pierre et envoient des lettres de menaces aux notables de la région. Le 15, ils attaquent à la hache et à la dynamite la chapelle et l’école des sœurs du hameau de Bois Duverne. De surcroît interviennent des fraternisations avec les troupes chargées de “l’ordre public” pendant la grève, où selon un rapport militaire “les hommes étaient pris un à un, ou même par groupe, par des ouvriers qui les conduisaient dans les cabarets, auberges, leur offraient à boire, à manger, leur procuraient des filles, etc. Les soldats ainsi embauchés fraternisaient avec les ouvriers, les appelaient leurs frères et recevaient d’eux toutes les brochures et les journaux socialistes qu’on ne cesse de colporter aux environs des mines” [27]. Si les anarchistes de Lyon n’y sont pas directement impliqués, ils s’en revendiquent ouvertement comme lors d’un meeting tenu à Lyon le 9 septembre pour glorifier ces actes… de là à ce que l’État les croit, il n’y a qu’un pas, qu’il franchira aisément : seuls des anarchistes seraient capables de mener de telles actions et saisit ces occasions pour frapper un grand coup.
A ces grèves et ces actes armés, s’ajoutent les attentats du mois d’octobre à Lyon. Le premier contre le café l’Assommoir (fréquenté par la bourgeoisie) dans la nuit du 22 au 23 octobre qui fait un mort et 3 blessés. Puis le 24 octobre, une seconde bombe explose à un bureau de recrutement, sans dégât notable. Pour le premier c’est Cyvoct [28] qui sera accusé et passera en procès en décembre 1883, sera condamné à mort puis gracié le 22 février 1884 [29]. Il sera déporté au bagne en Nouvelle-Calédonie pendant 14 ans.
Ces faits expliquent un saut dans la répression qui avait déjà commencé lors des événements de Montceau où 23 prolétaires sont arrêtés. Le 14 octobre Bordat est arrêté pour avoir glorifier les actions des mineurs. Le 28 octobre quelques anarchistes sont arrêtés. Le 19 novembre, les flics en arrêtent 26 de plus, tous membres de la Fédération révolutionnaire et perquisitionnent au local de L’Étendard révolutionnaire. D’autres arrestations suivent à Paris, Vienne, St Étienne.
Le 8 janvier 1883, c’est l’ouverture du procès des 66, dont 18 étaient des militants d’autres villes que Lyon. Tous les autres sont membres de la Fédération Révolutionnaire. Ils sont accusés des faire partie d’organisations anarchistes, d’entretenir de la correspondance avec des groupes anarchistes d’autres villes, d’avoir propagé des “doctrines incendiaires” (appel au vol, à l’incendie, à la destruction des titres de propriété…) et enfin d’être affiliés à l’AIT, délit qui tombe sous le coup de la loi Dufaure de 1872 qui l’interdisait. Peu importe les débats (dont il existe un compte-rendu disponible), la répression est sévère, puisque les peines les plus lourdes à l’encontre des principaux accusés comme Kropotkine, Bordat, Bernard, Gautier sont de 5 ans.
Après cette répression, les procès, la Fédération révolutionnaire est désorganisée. Le principe de la non-organisation l’emporta et chaque groupe se retrouve isolé (au nombre de 4, d’après nos sources) et se contentent essentiellement de faire de la propagande (diffusion des textes, affiches, etc.). Le nom du groupe (19 membres au départ) que nous retenons est celui de La Lutte qui maintint en vie, pendant 15 mois la publication du seul hebdomadaire anarchiste en France sous des noms divers. Il y eut 7 titres différents sur cette période, un journal interdit est remplacé par un autre titre et ainsi de suite, jusqu’au Droit anarchique qui fut le dernier faute d’argent pour continuer :
La Lutte (tiré à 5 000 exemplaires, puis le tirage augmenta, vu le succès, 19 numéros) : du 1 avril 1883 jusqu’au 5 août 1883. Il est remplacé par le …
Le Drapeau Noir (17 numéros), paraît du 12 août 1883 au 2 décembre 1883.
L’Émeute (7 numéros), paraît du 9 décembre 1883 au 20 janvier 1884.
Le Défi (3 numéros) paraît du 3 février 1884 au 17 février 1884.
L’Hydre Anarchiste (8 numéros), paraît du 24 février 1884 au 30 mars 1884.
L’Alarme (8 numéros), paraît du 13 avril 1884 au 1erer juin 1884
Le Droit Anarchique (3 numéros), paraît du 8 juin 1884 au 22 juin 1884.
Avec ce dernier numéro, le mouvement anarchiste va décliner progressivement dans la région de Lyon pendant quelques années.
Dans leurs interventions orales et écrites nous avons retenu ces quelques points :
1 / ils dénoncèrent les élections, le parlement, les parlementaires. Bernard : “C’est par l’abstention que l’on arrivera à la révolution sociale. Nous ne devons pas craindre de nous faire tuer quand nous faisons la guerre pour améliorer notre situation” “Nous sommes abstentionnistes car nous n’obtiendrons quelque chose que par la révolution violente et tumultueuse”.
“Le suffrage universel est un leurre, aucun programme des partis électoralistes ne peut améliorer le sort des travailleurs. Il n’y a qu’un seul remède à la situation actuelle : la révolution violente. Qu’on nous donne une somme de libertés plus ou moins grande, si l’on ne nous donne pas le sou, cela n’empêchera pas les travailleurs de mourir de faim. La révolution tumultueuse comme en 93 car les patrons ne voudront pas de la révolution progressive. Le suffrage universel a rendu la classe ouvrière plus esclave qu’en 89 car il lui a donné des maîtres plus serviles et plus coquin. Il faut prendre où il y a, il faut abolir et détruire tout ce qui existe, tous les corps électifs, détruire de fond en comble la société actuelle pour former une société nouvelle. La révolution est imminente et arrivera fatalement par suite de la misère de plus en plus croissante. Cette révolution doit être universelle. Programme révolutionnaire en 6 articles. La révolution politique est faite, il faut faire la révolution économique, il faut reprendre par la violence ce que les bourgeois nous ont volé. Les ouvriers une fois élus sont plus bourgeois que les bourgeois”.
2 / ils dénoncèrent le colonialisme français (qui après 1870 se développa comme jamais auparavant) et ses saloperies au Tonkin, en Tunisie, en Chine. Dans Le Drapeau noir n° 1 (12/08/1883), Morel, gérant du journal La Lutte, dénonce face au tribunal, les expéditions coloniales faites au nom de la liberté : “En Tunisie, à Madagascar, ne fait-on pas résonner le canon, la dynamité et toujours au nom de la liberté ?”.
On peut lire aussi dans Le Révolté n° 8, année V (page 2) une dénonciation de la civilisation : “oh, je sais bien que l’on va nous parler tout de suite de la mission civilisatrice de la France et autres vieux clichés ; nous la connaissons votre civilisation ! Civilisation qui consiste à piller et à décimer les habitants du pays dont on s’empare, elle a pour moyen le pillage et l’incendie.(…). Civilisation ! qui consiste à faire à ceux que l’on est convenu d’appeler des sauvages, une guerre d’extermination comme en Amérique pour leur voler leurs territoires de chasse ou pour les réduire en esclavage comme on fait des Botocudos du Brésil ; vous osez nous parler de civilisation ! Mais montrez-nous la donc ! quand tous vos savants, quand tous nos voyageurs nous montrent partout, dans leurs écrits, dans leurs relations de voyages, les misérables restes émaciés de ces populations autrefois florissantes, succombant sous le poids des maladies que vous avez importées, s’abrutissant dans les vices que vous leur avez inculqués afin de pouvoir mieux les exploiter à votre aise…”
Une intervention de Brugnot dans les réunions publiques : “On produit tellement en France qu’on est obligé d’ouvrir des débouchés à coups de canons au Tonkin. La misère honteuse et l’opulence luxurieuse disparaîtront devant la société nouvelle qui développera toutes les facultés de l’homme”.
3 / Ils soutinrent les grèves des prolétaires à Villefranche (par exemple, lors d’un meeting du 26/11/1881), Villeurbanne, Montceau les Mines, Roanne (mars 1882).
4 / Ils défendirent la nécessité de la destruction violente de l’État et de la société capitaliste .
5 / Ils combattirent la propriété privée . “Au lendemain de la révolution les instruments de travail seront à la disposition de la collectivité et les biens deviendront propriété commune et inaliénable.”
6 / Ils revendiquèrent une organisation égalitaire de la société future.
7 / Ils ont participé à de nombreux congrès ouvriers régionaux, nationaux et internationaux (Saint-Étienne, Marseille, Le Havre, Paris, Genève, Londres).
8 / Ils combattirent le militarisme. Entre août et octobre 1882, la Fédération oriente son activité vers les conscrits et développe sa propagande antimilitariste et invite les conscrits à refuser le service militaire. La brochure d’Émile Pouget A l’armée est diffusée parmi les soldats. Le journal L’Etendard Révolutionnaire publie le 17 septembre 1882 un manifeste intitulé les ouvriers de la septième compagnie d’artillerie de Lyon, à leurs frères de l’armée. Le 23 octobre 1882, une bombe explose au bureau de recrutement de la Vitriolerie. Le 12.03.1883, la brochure A l’armée d’Émile Pouget est distribuée clandestinement dans la caserne du fort Lamothe à Lyon où se trouve caserné le 105ème régiment.
9 / Ils organisèrent la solidarité avec les détenus politiques et leurs familles. Outre les meetings de soutien, il y a la mise en place d’une commission chargée d’organiser un comité de répartition de secours aux détenus politiques et leurs familles. Il donnait 10 francs à chaque femme de détenu et 5 francs de plus par enfant. Il envoyait 2 francs par semaine au détenu et leur faisait parvenir tous les deux jours un repas de viande. Ce comité fonctionna toute l’année 1883 et le début de 1884.
10 / Ils organisèrent des manifestations commémoratives de luttes prolétariennes comme la Commune de Paris (voir Le Droit Social n° 7 par exemple) ou encore le massacre de La Ricamarie de juin 1869 qui fit 15 morts parmi les prolétaires (voir Le Droit Social n° 19). Lors de l’anniversaire de ce massacre, le 18/06/1882 Bordat fit la déclaration suivante (devant 1200 personnes) : “Le sentiment qui doit y survivre c’est la haine et les résolutions impitoyables pour la révolution de demain. Il n’y a que deux classes dans la société, ceux qui travaillent et ceux qui ne font rien, les abeilles et les frelons. Il faut que les abeilles seules bénéficient désormais des produits de la ruche, et pour cela il n’y a qu’un moyen ,détruire les frelons. Jusqu’à présent, les frelons ont détruit les abeilles comme dans le sombre ravin de la Ricamarie.”
11 / Ils soutinrent Fournier, ouvrier tisseur, qui à la fin du mois de mars 1882, tira un coup de revolver sur le sieur Bréchard (sans l’atteindre), exploiteur de son état, alors que la grève des tisseurs ayant duré 2 mois déboucha sur la défaite des ouvriers. On peut lire dans Le Droit social (n° 8 du 2 avril 1882) : “bravant les préjugés, nous disons hautement que nous ne regrettons dans cet attentat que deux faits : 1) qu’il ne soit pas fait au début de la grève et 2) qu’il n’ai pas réussi ”. Des textes allant dans ce sens furent signés par la Fédération socialiste révolutionnaire Lyonnaise ainsi que par les groupes Marie Ferré (de Paris) et le Glaive (de Villefranche).
Ce texte est une contribution anonyme. Si vous souhaitez entrer en contact avec l’auteur pour obtenir des précisions bibliographiques ou émettre des critiques, nous écrire afin que nous transmettions : octave((A))riseup.net ou anaresel((A))gmail.com
[1] Pour ce faire nous avons puisé dans la thèse de Marcel Massard Histoire du mouvement anarchiste à Lyon (1880-1894). Depuis il nous semble qu’il n’y ait pas eu de recherche plus approfondie sur cette période, à part un article paru dans la revue Gavroche n° 166, qui donne quelques renseignements sur Antoine Cyvoct. Mais comme l’article se centre sur la personne de Cyvoct, toute la richesse de cette époque en terme d’activités militantes (réunions publiques, privées, journaux, actions entreprises…) passe à la trappe.
[2] Pour plus d’informations sur ces “communes” de province il y a le livre de Jeanne Gaillard, Communes de province, Commune de Paris, 1970-1871. L’AIT fut créée à Londres, lors d’un meeting qui s’est tenu au St. Martin’s Hall le 28 septembre 1864 et pour les partisans de Marx voit sa fin en 1872 au congrès de la Haye alors que les “anti-autoritaires” présents dans l’AIT maintiennent son existence qui va devenir fantomatique avec le temps. 2 livres de référence : La première internationale, recueil de document publié sous la direction de Jacques Freymond, Librairie E. Droz, 1962 et le livre de James Guillaume, L’Internationale, documents et souvenirs, publié aux éditions Champ Libre qui donne énormément d’informations sur toute une période s’étalant de 1864 à 1878. On peut aussi se reporter à la correspondance de Marx et Engels, ainsi qu’à la biographie de Marx par Franz Mehring pour son côté critique du rôle de Marx dans l’AIT.
[3] Nous retenons cette terminologie pour désigner les militants qui se sont constitués en groupe autour d’Auguste Blanqui à partir de 1865. A ce sujet voir le livre de Maurice Dommanget, Blanqui et l’opposition révolutionnaire à la fin du Second Empire, éditions Armand Colin, 1960.
[4] Nous recommandons la lecture de la thèse de Matthieu Plantet-Lanez Communards, algériens et kanaks, le regard des déportés sur la colonisation pour ce qui touche cette déportation, ainsi que le livre de Jean Allemane, Mémoires d’un communard, réédité aux éditions La Découverte.
[5] Congrès “modéré” qui se prononce contre les grèves et reconnaît l’autorité de l’État. Le congrès suivant de Lyon ne fut pas mieux. Les blanquistes critiquèrent le premier congrès et son modérantisme dans leur texte Les Syndicaux et leur congrès en des termes très durs.
[6] Page 87 de l’édition Mouton, 1974. C’est dans ce livre que nous avons trouvé la moyenne d’âge citée plus haut et que l’on peut trouver des renseignements sur le début du syndicalisme.
[7] Jean Grave dans son livre Le mouvement libertaire sous la 3ème République fait part de tout le bouillonnement militant de cette période qui surgit au moment même où une vague de grèves déferlent sur tout le pays.
[8] Jules Guesde, de son vrai nom Jules Bazile, né à Paris le 11 novembre 1845 et mort le 28 juillet 1922.
[9] Paul Larfague, né à Santiago-de-Cuba le 15 janvier 1842, mort le 25 novembre 1911. Connu pour avoir écrit Le Droit à la paresse et comme le gendre de Karl Marx.
[10] Gabriel Deville, né à Tarbes le 8 mars 1854 et mort le 28 février 1940. A publié un abrégé du Capital de Marx.
[11] Kropotkine a pu écrire dans Le Révolté du 25 décembre 1880 : “notre action doit être la révolte permanente par la parole, par l’écrit, par le poignard, le fusil, la dynamite, voire par le bulletin de vote, lorsqu’il s’agit de voter pour Blanqui ou Trinquet inéligibles“
[12] Ainsi, un militant comme Jean Grave, se disant anarchiste, participe pourtant au conseil d’administration du journal L’Égalité depuis sa fondation (1877). Il faudra que ce journal publie le programme électoral des travailleurs socialistes dont nous avons parlé plus haut pour qu’il en démissionne, après 3 années de collaboration. C’est dire qu’à cette époque les familles “marxistes“, “anarchistes“, “coopérativistes” n’étaient pas aussi clairement identifiées qu’il n’y paraît. Ce n’est qu’après des années que la légende prend le dessus pour nous faire croire que tout était déjà clair depuis au moins avant la Commune de Paris entre toutes ces familles politiques.
[13] Cité dans le livre de Claude Willard, Les guesdistes, page 19.
[14] Voir le journal Le Révolté n° 8 du 11 juin 1881, page 2.
[15] Voir le livre de Charles Da Costa, Les Blanquistes, paru aux éditions Rivière, 1912.
[16] Pour les noms comme celui de Boriasse (né le 29 octobre 1834 à Caluire) on peut se référer, comme pour les noms qui suivent, au dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, dit le Maitron, pour en savoir plus.
[17] Camet Camille, né à Lyon le 22 novembre 1850.
[18] …en Espagne, puisqu’en France toute activité publique est interdite, rendant difficile de telles réunions et publication de journal.
[19] J. Maitron, Le mouvement anarchiste en France, tome 1, page 90.
[20] Bordat Toussaint, né le 11 juillet 1854.
[21] Bernard Claude, né en 1856.
[22] Brugnot né le 27 mai 1839, mort en avril 1917.
[23] Farjat Gabriel, né à Lyon le 14 août 1857, mort à Paris le 28 février 1930.
[24] Paul Brousse formula clairement la propagande par le fait. Dans le journal L’Avant-Garde, organe de la Section romande de l’Internationale (17 juin 1878) il écrivit : “l’idée marche, en s’appuyant sur deux forces qui se complètent : le rayonnement de l’acte, la puissance de la théorie, et si l’une des forces fait plus que l’autre, c’est l’acte et non la théorie…Que l’on réfléchisse aux obstacles que l’on rencontre pour pénétrer les masses d’une pensée nouvelle à l’aide de conférences, brochures et journaux. Un fait produit au contraire un ébranlement : pour ou contre, tout le monde s’agite.
Nous voyons la propagande théorique insuffisante, nous voyons la propagande pratique puissante, même quand elle n’est pas voulue ; nous cherchons à inaugurer UNE PROPAGANDE DE FAIT, non plus inconsciente, mais voulue. C’est tout simple ; seulement nous choisissons. Nous choisissons les meilleurs parmi les moyens de propagande théorique ; il est évident que nous montrons la même circonspection et beaucoup plus de prudence dans le choix de l’acte à accomplir pour faire de la propagande pratique…” (cité dans le journal Le Crapouillot, de janvier 1938, page 15). L’idée était dans l’air depuis quelques années, Andréa Costa et Paul Brousse en 1877 dans leurs écrits ou conférences allaient dans le même sens.
[25] Voir L’Étendard Révolutionnaire du 20 août 1882, où est publié un manifeste rédigé par Élisée Reclus.
[26] Dans cette région, ainsi que dans les mines du Gard, à Decazeville, il y a une tradition d’action directe. Pour plus de renseignements, voir le livre de Bruno Mattei, Rebelle, rebelle ! (Champ Vallon, 1987).
[27] Cité dans le livre de M. Perrot, Les ouvriers en grève, tome 2, p. 696.
[28] Cyvoct Antoine, Marie, né le 28 février 1861, mort le 5 avril 1930.
[29] On pourra lire dans L’Hydre anarchiste, puis dans L’Alarme sa défense. Dans le numéro 166 du journal Gavroche déjà cité, on pourra lire en détail les péripéties de ce procès, de sa déportation et de la bataille pour son amnistie.
http://archivesautonomies.org/spip.php?article15