Sans-titre – 1er Juillet 1984


Os Cangaceiros, n°1, Janvier 1985, p. 57.

Vendredi 15 juin, Le Pen organisait un meeting à Nantes où se pressait une racaille de bourgeois, commerçants, amoureux de l’ordre. Les partis de gauche trottinèrent en ville dans une vague manifestation de protestation, et replièrent promptement leurs banderoles. Ils ne pouvaient guère faire plus. La campagne contre les immigrés, “pour l’ordre et la sécurité des biens et des citoyens”, c’est aussi leur oeuvre, depuis l’attaque au bulldozer contre un foyer d’immigrés à Vitry, jusqu’au record d’expulsion d’immigrés par le ministre Deferre, en passant par te renforcement continu de la police, etc…
Dans las manifs contre Le Pen, les bons pantins démocrates de gauche n’étaient là que pour faire valoir leur boutique électorale, contre les mauvais pantins de droite et d’extrême-droite.

A la longue, Guignol fatigue : les spectateurs se sont abstenus massivement deux jours après aux élections.
Mais ce vendredi-là, quelques jeunes, étrangers à ce mic-mac, se sont retrouvés dans la rue pour exprimer leur rage, aussi bien contre toutes les salopes de flics et de politiciens, que contre le monde qu’ils défendent.
Le premier à en faire les frais fut, au pont que, un contrôleur de la Semitan, connu comme flicard notoire. Sa voiture fut lapidée sans autre forme de procès par certaines de ses victimes antérieures. Quelques gauchos qui tentaient de s’interposer en prirent pour leur grade.
Mis en appétit par ce hors-d’œuvre, la cinquantaine de jeunes présents se dirigea vers le centre, et ne fut pas avare de boulons et de pavés pour les vitrines des commerçants. Une douzaine de vitrines firent les frais de ces clients d’un genre qu’on aimerait rencontre plus souvent (Le client est roi, disent les commerçants. Cela devenait vrai !). Cette équipée fut hélas interrompue par les flics rapidement ameutés par les marchands, avant d’avoir pu continuer un travail qui s’annonçait prometteur. La nuit qui suivit fut égayée de quelques escarmouches où flics et petits cons du Front National prirent quelques claques.
“A quoi ça sert de casser des vitrines ?” ont bélé quelques bonnes âmes davantage portées sur le rafistolage du vieux monde que sur sa destruction. La vraie question est plutôt celle-ci : pourquoi n’y-a-t’il pas plus de gens à se révolter contre un monde qui a pour image de marque le marchand, le flic, le politicien ? Pourquoi tant de prolétaires subissent-ils sans broncher le travail (du latin tripalium, qui veut dire instrument de torture), et acceptent de passer à la caisse pour payer les marchandises de la survie, et dans l’isoloir pour se soumettre à des maitres d’esclaves ?
Faute d’avoir été plus nombreux, et donc plus forts, ce vendredi 15, les flics ont pu coller sur le dos d’un jeune immigré qu’ils avaient interpellé et tabassé, l’inculpation de “dégradation de biens immobiliers” et de “rébellion”, et celà sans preuve. Naturellement, les chieurs d’encre de PresseOcéan se sont associés volontiers au travail policier en donnant l’identité et l’adresse du gars en question dans leur torchon du 18 juin, le désignant ainsi comme cible éventuelle de la racaille raciste.
Il serait maintenant dommage de laisser ainsi isolée cette belle jeunesse qui a tenu le pavé nantais le vendredi 15, autant que de laisser un otage entre les griffes de l’ennemi.
Qu’on se le dise…

Nantes, le 1er juillet 1984