Ça fait déjà un bon moment depuis la première et dernière contribution des compagnons de Bruxelles à propos de la lutte contre la construction d’une maxi-prison. L’idée de cette seconde contribution n’est pas de répéter les mêmes éléments d’analyse de fond et ainsi de suite qu’on retrouvera facilement dans le numéro 1 d’Avalanche, mais bien une tentative d’approfondir certaines problématiques concernant cette lutte en particulier et la lutte spécifique insurrectionnelle en général.
Aujourd’hui nous en sommes au point où un parcours de deux ans et demi de lutte contre ce projet morbide de l’État est maintenant derrière nous. De vieilles complicités se sont rompues, de nouvelles se sont forgées. Des illusions ont été perdues, qui nous ont permises d’avoir une vision plus claire de ce qui doit être fait, nous offrant l’opportunité d’affiner nos idées et pratiques. Ce n’est qu’en mettant ses idées en pratique que l’on peut chercher les moyens adéquats pour franchir certains obstacles, une vraie confrontation entre le fantasme et la réalité est ce qui nous rapproche d’une meilleure compréhension de comment mettre le feu aux poudres et d’éclairer le sens de nos idées.
Quelques changements dans le contexte social
Durant l’année écoulée, certains éléments ont changé dans le contexte social où nous agissons, et qui méritent d’être soulignés.
Tout d’abord, depuis l’hiver dernier l’armée a réapparu dans les rues de Belgique, protégeant en permanence les symboles de possibles attaques islamistes. Après l’assassinat de deux islamistes présumés lors d’une descente de police dans une maison à Verviers, l’alerte terroriste contre les flics et les commissariats a atteint son niveau maximum. À la suite de quoi, durant plusieurs semaines, les flics de Bruxelles ne patrouillaient plus seuls mais toujours à deux voitures, et jusqu’à aujourd’hui des flics armés de mitraillettes sont postés devant les commissariats, des flics contrôlent chaque entrée du Palais de Justice, des flics sont armés de mitraillettes lors des patrouilles dans les rues.
À côté de ces avancées de la répression (le climat anti-terreur a connu beaucoup d’autres de ces « avancées »), nous voudrions attirer l’attention sur deux mouvements d’agitation sociale. D’abord les protestations contre les mesures d’austérité, généralement très dirigées par les syndicats lèche-culs réformistes, mais qui sont devenus incontrôlés en novembre dernier. Des milliers de personnes d’horizons différents ont affronté les flics pendant plusieurs heures à l’occasion de ce qui est généralement considéré comme un défilé ultra chiant des syndicats. Cet évènement à la frontière entre différents quartiers dans lesquels nous faisons un travail d’agitation peut être considéré comme une bouffée d’air frais dans le contexte répressif pacifié de Bruxelles. Une moto de flics mise à feu en réaction à la brutalité policière qui a tout déclenché, 112 flics envoyés à l’hôpital, quelques voitures utilisées comme barricades, du vandalisme. Si ce moment de joie a été gravement condamné par tous les syndicats (certains d’entre eux collaborant même avec les flics), il a également montré à beaucoup que la rage et le désir de révolte couvent sous le projet pacificateur des syndicats.
Ensuite, durant l’année écoulée, un mouvement de coordination de sans-papiers a pris de l’ampleur, ouvrant la voie à des manifestations (il faudrait mentionner qu’une manif sauvage a fait suite à une arrestation, ce qui est très rare), des occupations, des protestations, etc. Outre la demande d’une régularisation générale, il y a également la présence d’une critique des frontières, une attention portée à l’hécatombe en Méditerranée, et la volonté de fermer les centres fermés et d’arrêter toutes déportations. Les deux signes d’agitation sociale mentionnés ici sont considérés pertinents pour notre lutte, jetant des ponts entre notre lutte et l’agitation qui nous entoure. Nous ne cherchons à éduquer personne, mais au plus de troubles dans les rues, au mieux, de même que nous imaginons des interventions pour étendre le conflit, en essayant d’ouvrir l’horizon vers une situation plus explosive.
Un dernier élément à prendre en compte est l’occupation zadiste du terrain de la future prison, une coalition de voisins citoyennistes, de militants écologistes, de zadistes venus de partout et de quelques individus avec qui nous avons plus à partager ainsi que plusieurs compagnons, mais cette histoire est un tel merdier qu’on ne va pas s’y engager maintenant. On y reviendra par la suite en parlant de désolidarisation.
Une base solide
Ce qui peut être dit c’est que deux ans et demi d’agitations (avec différents moyens) dans certains quartiers a construit une base solide sur laquelle beaucoup peut être imaginé. Le silence autour de ce projet de l’État a incontestablement été brisé avec nos propres moyens (même si l’on rencontre encore toujours des gens qui n’ont jamais entendu parlé de la maxi-prison, on peut dire que le mot maxi-prison est entré dans le langage commun dans certaines parties de Bruxelles, montrant l’importance de ce qu’un petit groupe de compagnons peut faire, sachant que maxi-prison est un nom inventé qui marquera la prison d’une saveur de lutte même si elle est construite), et la proposition de l’auto-organisation et de l’action directe contre cette prison et ses responsables est en train de circuler. La diffusion du journal mensuel « Ricochets » se fait connaître.
Après quelques moments de référence dans la lutte (l’occupation qui a eu lieu en 2013, une tentative de manifestation et l’occupation policière du quartier en 2014), plusieurs compagnons ont décidé d’ouvrir un lieu de référence dans le quartier populaire de Cureghem (Anderlecht). Dans « Le Passage », ont lieu des permanences, discussions, repas et d’autres activités autour du sujet de la maxi-prison et l’emprisonnement en général, créant les occasions pour des personnes de différents horizons de se rencontrer et d’orienter leur refus de l’offensive répressive et de la logique étatique en général.
Celui qui veut faire une évaluation quantitative du projet, en comptant les gens qui passent à chaque ouverture, n’a rien compris au sens qualitatif de cet espace. Si l’on ne parle pas des masses, on se réfère aux rencontres intéressantes entre rebelles, esprits critiques, insatisfaits et anarchistes qui discutent les moyens de refuser ce monde. Lorsque des gens qui ne devaient jamais se rencontrer se rencontrent dans le contexte d’une lutte, quelque chose d’intéressant se produit. Et là nous ne parlons pas de rencontres entre représentants de groupes politiques mais entre individus qui comprennent la nécessité de s’opposer à ce projet et à l’État de façon directe. Bien sûr, la lutte n’a pas lieu entre les quatre murs d’une pièce et l’intérêt d’un lieu comme celui-là pour se rencontrer et se coordonner dépend de la qualité du combat dans la rue.
Donc les nouvelles de la lutte traversent les rues de certains quartiers, que ce soit par des posters ou par le bouche à oreille (menant parfois à des histoires très exagérées, par exemple transformant une petite confrontation avec les flics en une émeute ou le saccage des vitres d’un bureau d’ingénieur collabo lors d’une manif sauvage en fusillade). Et des infos concernant des faits qui ne sont pas parvenus aux médias (comme des confrontations avec les flics) arrivent jusqu’à nos oreilles par ce lieu. Prendre part dans certaines dynamiques de ces quartiers ouvrent des perspectives de compréhension mutuelle et de solidarité.
Le silence des médias de masse
La police, de son côté, n’apprécie bien sûr pas les tentatives anarchistes d’agitation sociale et d’insurrection et ne compte pas faire de propagande en faveur de la proposition d’auto-organisation et de sabotage contre cette maxi-prison. Néanmoins, le silence médiatique a récemment été brisé à plusieurs occasions (en laissant de côté les tentatives répétées du comité citoyen des habitants de Haren – où ils veulent construire la prison – d’attirer l’attention des médias sur leur programme politique contre ce qu’ils continuent d’appeler la “méga-prison”). Dans l’attente des dernières rencontres entre les personnes importantes pour obtenir les derniers documents officiels afin d’obtenir les dernières permissions nécessaires pour débuter les travaux, l’architecte principal de la maxi-prison commence à verser des larmes dans tous les médias qui veulent bien les recueillir au sujet d’un engin incendiaire (liquide inflammable + gaz) déposé à son domicile l’hiver dernier (c’est-à-dire quelque mois avant que la nouvelle ne parvienne aux médias !). Alors que dans le premier interview le salaud nie toute responsabilité, après coup il change de tactique et déclare qu’il ne comprend pas ce qu’il peut y avoir de si mauvais dans la construction de prisons. Cette nouvelle déclenche l’appétit pour le sensationnel des vautours médiatiques, qui parlent pour la première fois d’actions directes commises contre ceux qui font du profit avec ce projet, pointant le doigt accusateur vers les anarchistes qui sont appelés terroristes. L’infâme architecte déclare que toutes les compagnies impliquées ont eu des ennuis jusque là.
Au milieu de cette hystérie (les journalistes découvrant l’existence de l’anarchisme combatif ainsi que d’une lutte de deux ans et demi contre l’État et son programme répressif pour Bruxelles), le domicile de plusieurs membres de la commission qui doit accorder la permission de construire ou non est tagué. Les connards de responsables sont pris de panique et au moins l’une d’entre eux déclare publiquement sa démission. La réunion de concertation publique elle-même est massivement entourée de flics et l’on ne peut y assister qu’après un contrôle d’identité et contrôle de sacs. La moitié des membres de la commission sont assis dans l’obscurité afin que les médias ne puissent pas photographier leur visage. Enfin, au milieu du spectacle médiatique, un groupe de 15 à 20 personnes (selon les médias) investit la Régie des Bâtiments et détruit la maquette de la future prison une bonne fois pour toute ! Peut-être que notre cher ami et architecte de Wachtelaer a ainsi compris qu’il n’aurait pas dû pleurer devant les caméras, sachant que l’écho d’une action inspire d’autres actions. À la suite de cet épisode, la décision de la commission a été retardée plusieurs fois avec des politiciens déclarant publiquement qu’en fait eux aussi sont contre le projet (ouais, c’est ça !), jusqu’au jour des perquisitions menée par la police anti-terroriste dans 4 domiciles de compagnonnes et au « Passage ».
Avant d’arriver à ce point, nous voulons clarifier que même si les médias de masse ont évidemment une très large audience (y compris auprès des prisonniers), le spectacle consume tout ce qu’il touche et que c’est la pratique autonome de nouvelles et d’idées diffusées par des compagnons ainsi que les discussions entre individus (compagnons ou non) qui donne son vrai sens à la lutte et non l’écho médiatique propagé par des vautours en manque d’excitation dans leur vie chiante. Pour clôturer ce chapitre sur les médias de masse nous voulons remarquer qu’au moins trois citoyens de Haren se sont publiquement dissociés de tout acte de vandalisme, et ce au nom de tous les habitants du village (eh bien, nous ne mettons pas en doute leur volonté d’être eux-mêmes des politiciens), ainsi que l’ont fait deux occupants de la zad au nom de leur zad (ouaip). Pour tout ceux qui sont convaincus de l’usage de l’action directe, il semble judicieux de rester loin de ces politiciens qui préfèrent parler aux magistrats (qui ont commencé par ailleurs à s’opposer au projet eux aussi, quelle merde !) plutôt qu’aux personnes destinées à être balancées dans cette atrocité à venir. Ce genre de personnes est un danger pour quiconque veut jeter une pierre et devrait être reconnu comme tel. Le discours étatique « du bon et du mauvais » est repris en cœur par ces salauds.
Perquisitions
Quelques mots alors au sujet des perquisitions qui ont eu lieu au prétexte « d’incitation à commettre un acte terroriste » et « d’appartenance à un groupe terroriste ». La police a perquisitionné quatre domiciles de compagnonnes et le local « Le Passage », vidant entièrement les lieux de tout matériel d’agitation : auto-collants, posters, tracts, brochures, journaux et autre. Cet acte de sabotage est un signe que l’État déclare la répression ouverte contre notre projet insurrectionnel. Ils veulent nous paralyser et effrayer les gens qui d’une manière ou d’une autre se soulèvent contre le rêve de l’État de mettre des prisons partout. Ils veulent faire fuir les gens du Passage, ils veulent faire craindre aux gens de dire ce qu’ils pensent, ils veulent mettre en accusation toute conversation autour de l’attaque contre les salauds de ce monde, ils veulent éliminer les idées de révolte. Face à ce terrorisme d’État nous ne pouvons répondre que d’une façon : continuons de les contrarier de tout notre cœur. Tant que nous sommes encore dehors nous devons faire tout notre possible pour rompre la paix sociale dans ce cœur des ténèbres pourrissant, dans la capitale de l’Europe où nous voyons les contradictions de ce système de répression et de misère, de richesse et de pouvoir, devant notre nez partout où nous allons.
En réaction aux perquisitions, des compagnons se sont retrouvés dans une dynamique enthousiasmante et ont préparé un rassemblement pour quelque jours plus tard. La police a à nouveau occupé le territoire pour intimider et faire fuir les gens. Il faut dire que la police est casse-couilles, mais n’oublions pas les mots encourageants d’un homme rencontré lors d’une distribution pour appeler au rassemblement, mots d’encouragement parmi d’autres : « Je vous tire le chapeau. Vous avez encore le courage. Il y a beaucoup de défaitisme par ici, et les gens ont même peur de dire ce qu’ils pensent. »
Et donc…
Cette lutte n’a jamais été ni évidente ni facile et dans le futur elle ne deviendra certainement pas plus facile. C’est une lutte bâtie sur de nombreuses années d’activités d’agitation menées par des compagnons concernant les sujets de la prison, des centres fermés et autres. L’État fera de son mieux non seulement pour mettre des gens en prison, mais pour détruire tout ce qui a été construit avec tant d’efforts, pour effacer l’histoire de l’anarchisme insurrectionnel et combatif. En plus, on ne remarque pas toujours les signes d’agitation sociale parce qu’ils sont cachés, qu’ils soient réduits au silence par les flics ou passés inaperçus à cause de l’isolation sociale qui est une condition de l’époque moderne.
Mais même si nous ne sommes pas toujours conscients des conséquences de nos actes, découragés par une ambiance d’apparente résignation générale, effrayés par les poulets, … Bruxelles bouillonne de rage et nous devons être prêts. Le contexte social de ce petit pays dans lequel nous vivons se dirige vers un désastre (si nous ne le vivons pas déjà) et l’on peut être certain d’une explosion future. La maxi-prison n’est qu’un détail au tableau d’ensemble mais l’attaque contre les responsables est une indication claire pour toute personne en conflit avec l’État et ses pratiques quotidiennes insultantes. Cette lutte peut être une référence d’auto-organisation visant l’attaque des conditions misérables et des institutions suffocantes, et elle existe dans l’imagination et le souvenir des gens. Elle peut donner du courage aux autres désireux de combattre sans politiciens ni compromis, les gens fatigués et malades de ce monde et qui laissent éclater leur rage. Voilà ce que l’État cherche à écraser, voilà ce pourquoi on se met en jeu. Il y a du potentiel dans cette lutte, une dimension sociale qui peut rendre les choses incontrôlables. Il y a tellement de gens qui ont lu les pamphlets, qui ont vu les posters, qui ont entendu parler et discuter du combat contre cette prison. Tout ça crée un marécage dans lequel il devient difficile pour les flics de comprendre ce qu’il se passe, et des graines d’idées sont en train de germer dans les esprits de beaucoup.
Soyons clair : la lutte contre la maxi-prison n’est pas une lutte entre anarchistes contre l’État, c’est la lutte d’un refus social contre les attaques quotidienne de l’État, contre une vie entre les quatre murs d’une ville prison. Ce refus social peut se transformer en griffe à tout moment, faisant fuir les flics, faisant pisser les politiciens dans leur froc comme on l’a vu auparavant en Angleterre, en Syrie, en Turquie, aux États-Unis et dans tant d’autres lieux. Si dans ces moments d’auto-organisation massive certaines idées précises concernant comment et où frapper l’ennemi sont présentes, l’État est en sérieuse difficulté. C’est pourquoi on ne devrait pas céder à la pression policière ou commencer à cacher nos idées. Parce que nos idées sont plus fortes que la dynamite, sont des graines qui peuvent aider les choses à devenir vraiment hors contrôle. La propagation sociale de l’auto-organisation et de l’action directe est le pire cauchemar de l’État et de tout ceux qui veulent contrôler la protestation.
[Publié dans Avalanche, correspondance anarchist, n°5, juillet 2015]