13 Notes sur la lutte des classes pour le débat

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1. Les classes existent depuis le début de la civilisation. La civilisation a toujours été une société de classes.

2. La classe n’est pas seulement une catégorie économique, elle est aussi sociale. Les relations de classe structurent et disciplinent l’ensemble de la société, et pas seulement l’économie.

3. Les relations de classes sociales ont toujours été liées à une série d’autres oppressions telles que les relations sociales patriarcales et les différentes formes de racisme.

4. La division de classe est l’une des structures primaires d’organisation de toutes les sociétés depuis le début de la civilisation, et ce bien que la forme de la classe ai changé à travers le développement de la civilisation. Ce développement de la société et des relations sociales de classe ont toujours été intimement liée à l’évolution de la technologie (ce que j’appelle une société de «régime techno-social»). A mesure que se développe la société de classe, il en va de même de la spécialisation sociale et de ses technologies. Une critique profonde de la société devrait toujours inclure une critique des relations sociales de classes et leurs liens avec la culture matérielle dominante de la société, y compris les technologies qu’elle rend à la fois possible et qui la rendent possible.

5. La lutte des classes existe depuis que les classes existent.

6. La lutte des classes existe, même quand les gens ne reconnaissent pas qu’ils y prennent part. Elle existe dans la vie quotidienne. Une des manières dont les révolutionnaires peuvent intervenir dans la lutte de classe, par conséquent, est d’aider les gens à reconnaître que c’est ce qu’ils font. Il y a plusieurs façons de le faire et nous devons faire preuve de créativité.

7. Lorsqu’elle devient révolutionnaire, la classe dépossédée lutte pour mettre fin à l’existence de toutes les classes, même si les gestionnaires gauchistes de la révolte tentent de canaliser la lutte des classes, de la récupérer à des fins capitalistes en vue de prendre le pouvoir sur les autres et dans une position de profit matériel. Pour les révolutionnaires sincères, ceux et celles qui souhaitent vraiment en finir avec la domination de la vie par l’Etat, le capitalisme et tous les rapports marchands, la discipline du travail, le patriarcat et le développement du régime techno-social, le but devient l’auto-négation du prolétariat et des dépossédé-e-s en tant que classe, non au profit d’une classe (les dépossédé-e-s / le prolétariat) mais bien pour renverser la position d’une autre classe (la classe dirigeante ou capitaliste).

Le sens de la lutte des classes n’est pas d’affirmer que les travailleurs/euses sont de “meilleures personnes” que les capitalistes ou les bourgeois, ou de juger moralement chaque classe, ou de célébrer une classe sur une autre, mais de détruire l’institution sociale de classes dans son ensemble. La lutte des classes trouve son origine dans la contradiction entre nos désirs et la manière dont les structures de classes limitent, contrôlent, excluent et exploitent notre vie. Notre lutte commence par nos désirs de vivre d’une manière différente, de sortir du contrôle et de la discipline de classes de la société. Pourtant, la récupération de la lutte des classes se poursuivra sous des formes diverses, tant que les rapports de classes existent, mais cela ne doit pas nous faire renoncer à la lutte des classes : celà devrait au contraire nous rendre plus prudent-e-s dans notre analyse et nous pousser à faire preuve de plus de créativité dans la lutte pour libérer nos vies.

8. La lutte des classes est toujours globale tout comme le capitalisme, mais elle est souvent récupérée par des formes nationalistes. Nous avons besoin de trouver où le contenu révolutionnaire de la lutte des classes pousse à la rupture avec la forme nationaliste et mettre notre force derrière une telle démarche. Il n’est donc pas simplement question d’ignorer les mouvements de libération nationale, et encore moins de les célébrer mais de penser une solidarité critique et révolutionnaire avec la force de la lutte des classes qui pousse à la destruction complète des rapports de classe en démasquant ses récupérations.

9. La racine de la lutte des classes n’est pas économique. La production n’est pas seulement économique : elle ne prend pas seulement place dans des usines, mais s’étend sur la société dans son processus de production et de reproduction sociale qui inclut le contrôle et la discipline des travailleurs et travailleuses ainsi que tous les autres membres de la société. C’est cette société-usine toute entière que nous devons détruire parce qu’elle produit des rôles sociaux, des relations et des subjectivités, qui disciplinent nos corps et nos esprits, transforment et contrôlent la vie elle-même.

Les gestionnaires gauchistes de la lutte de classe tentent en général de transformer la lutte des classes dans une lutte strictement économique, une lutte pour le pouvoir économique, pour une plus grande part du gâteau, pour l’augmention du pouvoir d’achat, pour une légère ré-organisation de l’économie. Un aménagement de la cage. C’est la base même de toutes les bureaucraties gauchistes, de tous les partis et syndicats dont c’est la force vitale. Pourtant, puisque les classes ne sont pas tant économiques que sociales dans leur caractère, la lutte des classes, pour être réellement radicale, pour se déplacer vers la fin des classes en tant que telle, doit rompre avec les objectifs économiques programmés par les gestionnaires gauchistes.

La synthèse de toutes les luttes dans une seule organisation rend particulièrement vulnérable au contrôle la lutte par les bureaucrates de toute sorte. Ainsi, pour que la lutte des classes puisse maintenir sa force radicale, elle doit rester autonome, autogérée et auto-organisée, elle doit devenir incontrôlée et incontrôlable, et elle doit encore se répandre et s’approfondir socialement. L’objectif des dépossédé-e-s dans la révolution n’est jamais économique, il est anti-économique. Il pousse à sortir de l’économie et à la détruire, ainsi que tout les échanges marchands, et la médiation des relations par toutes les formes d’argent, d’idéologie et de morale.

10. Le travail est un comportement discipliné au sein de l’économie. En tant qu’activité, elle est séparée des autres aspects de la vie dans la sphère de l’économie. A mesure que la société de classes s’est développée et transformée, le travail s’est de plus en plus éloigné de notre vie et de nos désirs. Il devient une activité qui nous dresse et nous opprime, une activité que nous ne pouvons plus contrôler, qui contrôle à notre place. La lutte des classes révolutionnaire, la lutte des dépossédé-e-s consiste à briser toutes les séparations qui nous sont imposées par la société de classes : la séparation entre nous et notre activité, entre le travail et le jeu, et entre nous-mêmes et ceux et celles avec qui nous interagissons.

11. Dans le système capitaliste, la transformation, différents régimes d’accumulation ont organisé la façon dont la classe capitaliste accumule du capital grâce à l’exploitation de la main-d’œuvre et de la force de travail des exploité-e-s, des exclu-e-s et des dépossédé-e-s. Les divers régimes d’accumulation ne sont que les différentes formes de discipline du travail et d’organisation capitaliste. Aux États-Unis et dans la majeur partie de l’Europe, l’essentiel du 20e siècle s’est opéré sous le régime fordiste d’accumulation (nommé d’après le modèle de Ford de la production et de son idéologie keynésienne).

Au début des années 1970, ce régime a été remplacé par le régime d’accumulation flexible : travail temporaire, pas de syndicats, horaires flexibles, pas de garantie d’emploi ou à la retraite, sous-traitance, fin des aides sociales, pas de contrôle sur les mouvements de capitaux à travers les frontières, augmentation des l’importance du commerce international et des technologies de communication, surveillance et contrôle, etc; son idéologie régnante est décrite comme “néo-libérale” et est souvent désigné comme le fait de la «mondialisation». On pourrait plus franchement parler aujourd’hui d’idéologie démocratique et de l’évolution des valeurs dominantes comme d’une suite logique des principes même du capitalisme.

De nombreux autres pays sont poussés à produire des emplois de type fordiste sans les garanties du fordisme pour les travailleurs/euses (ce qui est vrai dans la plupart des pays du tiers-monde, par exemple). Mais la mort du fordisme dans certains pays ne signifie pas la mort de la lutte des classes, mais plutôt que sa transformation mondiale continue. Cela signifie que nous devons analyser ces transformations et nos réponses, et non pas tout simplement abandonner la lutte des classes comme certain-e-s dans les milieux autonomes semble le suggérer. Le régime d’accumulation flexible a été accompagné d’une financiarisation accrue et la privatisation de toutes les formes de la vie sociale et la marchandisation accrue de la vie elle-même ainsi que d’un nouveau pillage du tiers-monde. Ceci a façonné le caractère actuel de la lutte des classes. Cette transformation des relations au sein du capitalisme et de la classe doit nous orienter sur de nouvelles cibles d’intervention (sociales, matérielles, technologiques, etc) et les nouvelles contradictions que la société de classes tend à exploiter.

12.  En tant  qu’anarchistes ou anti-autoritaires, il ne nous appartient pas d’inventer, de produire ou de gérer la lutte des classes. La lutte des classes continuera de se produire que nous le reconnaissions ou pas. Nous pouvons intervenir dans la lutte de classe, mais nous ne le faisons pas en totalité. La question n’est donc pas de savoir si nous devrions reconnaître la lutte des classes ou non. Mais toujours : comment pouvons-nous intervenir dans la lutte de classe, qui se poursuivra que nous intervenions ou pas ?

13. Etant donné que la civilisation, à travers toutes ses transformations, a toujours été une société de classes, la destruction des classes en tant que telles par la lutte de classes révolutionnaire des dépossédé-e-s sera toujours un objectif indispensable de la projectualité anarchiste. C’est un aspect qui sépare l’activité révolutionnaire des gestionnaires de la révolte qu’on retrouve dans les mouvements révolutionnaires dans l’espoir de discipliner et canaliser la force de la lutte des classes à leurs propres fins, sauvant ainsi le capitalisme et toutes ses séparations et aliénations dans le processus.

Sacha K.

Source : The Anarchist Library, Traduit par Le Cri Du Dodo.

Originalement publié dans “Green Anarchism”, Automne/Hiver 2004.

 

Note de traduction : quelques libertés ont été prises dans la traduction. Ce texte est à la base une critique de la dérive primitiviste dans le mouvement anarchiste nord-américain qui tend à nier l’existence des classes et des autres oppressions et dominations ou à prétendre que la technologie est au coeur de tout les problèmes (on connait aussi  les dérives autoritaires autour de cette question, et les primitivistes qui ont finit par rejeter en bloc la critique de l’autorité au profit de la seule critique de la technique). Sans doutes donc trop “centré” sur les questions des classes, ce texte a au moins le mérite d’offrir une interprétation anarchiste de la question de la division de classe qui se limite pas à une approche syndicaliste ou économiste.

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