Mes principes

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Par Ravachol (30 mars 1892)

Cela ne m’étonne pas, répondit-il. La classe ouvrière, qui comme vous est obligée de travailler pour se procurer du pain, n’a pas le temps de s’adonner à la lecture des brochures que l’on met à sa portée ; il en est de même pour vous.

 

L’anarchie, c’est l’anéantissement de la propriété. Il existe actuellement bien des choses inutiles, bien des occupations qui le sont aussi, par exemple, la comptabilité. Avec l’anarchie, plus besoin d’argent, plus besoin de tenue de livres et d’autres emplois en dérivant.

Il y a actuellement un trop grand nombre de citoyens qui souffrent tandis que d’autres nagent dans l’opulence, dans l’abondance. Cet état de choses ne peut durer ; tous nous devons non seulement profiter du superflu des riches, mais encore nous procurer comme eux le nécessaire. Avec la société actuelle il est impossible d’arriver à ce but. Rien, pas même l’impôt sur les revenus ne peut changer la face des choses et cependant la plupart des ouvriers se persuadent que si l’on agissait ainsi, ils auraient une amélioration. Erreur, si l’on impose le propriétaire, il augmentera ses loyers et par ce fait se sera arrangé à faire supporter à ceux qui souffrent la nouvelle charge qu’on lui imposerait. Aucune loi, du reste, ne peut atteindre les propriétaires car étant maîtres de leurs biens on ne peut les empêcher d’en disposer à leur gré. Que faut-il faire alors ? Anéantir la propriété et, par ce fait, anéantir les accapareurs. Si cette abolition avait lieu, il faudrait abolir aussi l’argent pour empêcher toute idée d’accumulation qui forcerait au retour du régime actuel.

C’est l’argent en effet le motif de toutes les discordes, de toutes les haines, de toutes les ambitions, c’est en un mot le créateur de la propriété. Ce métal, en vérité, n’a qu’un prix conventionnel né de sa rareté. Si l’on n’était plus obligé de donner quelque chose en échange de ce que nous avons besoin pour notre existence, l’or perdrait sa valeur et personne ne chercherait et ne pourrait s’enrichir puisque rien de ce qu’il amasserait ne pourrait servir à lui procurer un bien-être supérieur à celui des autres. De là plus besoin de lois, plus besoin de maîtres.

Quant aux religions, elles seraient détruites puisque leur influence morale n’aurait plus lieu d’exister. Il n’y aurait plus cette absurdité de croire en un Dieu qui n’existe pas car après la mort tout est bien fini. Aussi doit-on tenir à vivre, mais, quand je dis vivre, je m’entends. Ce n’est pas piocher toute une journée pour engraisser ses patrons et devenir, en crevant de faim, les auteurs de leur bien-être.

Il ne faut pas de maîtres, de ces gens qui entretiennent leur oisiveté avec notre travail, il faut que tout le monde se rende utile à la société, c’est-à-dire travaille selon ses capacités et ses aptitudes ; ainsi un tel serait boulanger, l’autre professeur, etc. Avec ce principe, le labeur diminuerait, nous n’aurions chacun qu’une heure ou deux de travail par jour. L’homme, ne pouvant rester sans une occupation, trouverait une distraction dans le travail ; il n’y aurait pas de fainéants et s’il en existait leur nombre serait tellement minime qu’on pourrait les laisser tranquilles et les laisser profiter sans murmurer du travail des autres.

N’ayant plus de lois, le mariage serait détruit. On s’unirait par penchant, par inclinaison et la famille se trouverait constituée par l’amour du père et de la mère pour leurs enfants. Si par exemple, une femme n’aimait plus celui qu’elle avait choisi pour compagnon, elle pourrait se séparer et faire une nouvelle association. En un mot, liberté complète de vivre avec ceux que l’on aime. Si, dans le cas que je viens de citer, il y avait des enfants, la société les élèverait c’est-à-dire que ceux qui aimeraient les enfants, les prendraient à leur charge.

Avec cette union libre, plus de prostitution. Les maladies secrètes n’existeraient plus puisque celles-ci ne naissent que de l’abus du rapprochement des sexes, abus auquel est obligée de se livrer la femme que les conditions actuelles de la société forcent à en faire un métier pour subvenir à son existence. Ne faut-il pas pour vivre de l’argent à tout prix !

Avec mes principes que je ne puis en si peu de temps vous détailler à fond, l’armée n’aurait plus raison d’être puisqu’il n’y aurait plus de nations distinctes, les propriétés étant détruites et toutes les nations s’étant fusionnées en une seule qui serait l’Univers.

Plus de guerres, plus de querelles, plus de jalousie, plus de vol, plus d’assassinat, plus de magistrature, plus de police, plus d’administration.

Les anarchistes ne sont pas encore entrés dans le détail de leur constitution, les jalons seuls en sont jetés. Aujourd’hui les anarchistes sont assez nombreux pour renverser l’état actuel des choses, et si cela n’a pas lieu c’est qu’il faut compléter l’éducation des adeptes, faire naître en eux l’énergie et la ferme volonté d’aider à la réalisation de leurs projets. Il ne faut pour cela qu’une poussée, que quelqu’un se mette à leur tête et la révolution s’opérera.

Celui qui fait sauter les maisons a pour but d’exterminer tous ceux qui par leurs situations sociales ou leurs actes sont nuisibles à l’anarchie. S’il était permis d’attaquer ouvertement ces gens-là sans crainte de la police et par conséquent pour sa peau on n’irait pas détruire leurs habitations à l’aide d’engins explosibles, moyens qui peuvent tuer en même temps qu’eux la classe souffrante qu’ils ont à leur service.

Extrait des mémoires de Ravachol, dictées aux matons dans la soirée du 30 mars 1892.